Une décision économique qui ne fait aucun doute : autonomiser les femmes, c’est développer les économies
Une décision économique qui ne fait aucun doute : autonomiser les femmes, c’est développer les économies

Une décision économique qui ne fait aucun doute : autonomiser les femmes, c’est développer les économies

En tant que première femme à diriger le FMI, et comptant parmi les leaders du plaidoyer en faveur d’une augmentation des investissements et de l’action en vue de favoriser l’égalité de genre, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, clarifie l’importance et l’urgence des investissements qui contribuent à faire progresser l’égalité de genre et l’équité pour les filles et les femmes dans le monde.

Il est démontré que les filles et les femmes jouent un rôle déterminant dans la stimulation de la croissance économique, la réduction des inégalités et le renforcement de la résilience financière des familles et de leurs communautés. Lorsque les entreprises comptent un pourcentage plus élevé de femmes à leur conseil d’administration, par exemple, leurs activités s’en trouvent financièrement plus stables. La recherche révèle également que lorsque les femmes ont accès à des services financiers, la croissance économique explose, entraînant des répercussions positives qui profitent à des familles, des communautés et des pays tout entiers, sur plusieurs générations.

Des données probantes telles que celles-ci constituent les bases de l’engagement du Fonds monétaire international (FMI) à démontrer l’intérêt à investir dans des programmes et politiques qui donnent la priorité aux filles et aux femmes. Le FMI publie actuellement plusieurs nouveaux rapports qui visent à continuer à démontrer l’intérêt, et à appeler au renforcement de la participation économique et du leadership des femmes au sein de tous les secteurs. Ce n’est pas simplement une bonne chose, c’est la chose à faire car elle entraîne d’importants retours sur investissement aux niveaux social et économique.

À l’occasion de cet entretien avec Katja Iversen, présidente et PDG de Women Deliver, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, clarifie l’importance et l’urgence des investissements qui contribuent à faire progresser l’égalité de genre et l’équité pour les filles et les femmes dans le monde. En tant que première femme à diriger le FMI, et comptant parmi les leaders du plaidoyer en faveur d’une augmentation des investissements et de l’action en vue de favoriser l’égalité de genre, personne n’était plus qualifiée pour aider Deliver for Good à déterminer les étapes nécessaires à la mise en place d’un financement durable pour les filles et les femmes.

Katja Iversen : Parmi les principales missions du Fonds monétaire international (FMI) figurent celle d’aider les pays à se constituer et à maintenir une économie forte. Comment les filles et les femmes s’insèrent-elles dans cette mission, et comment le FMI met-il cela en action ?

Christine Lagarde : L’autonomisation des filles et des femmes peut être cruciale pour le développement économique des pays.

Le FMI a réalisé que les effets économiques positifs d’une meilleure égalité entre les genres recouvrent plusieurs dimensions essentielles de la performance d’une économie. Elle peut stimuler la croissance, réduire les inégalités de revenu, aider les économies à diversifier leurs exportations et atténuer partiellement les conséquences économiques des évolutions démographiques. Donc même au-delà des dimensions morales et sociales évidentes, l’autonomisation des femmes est une décision économique qui ne fait aucun doute.

Les économies devraient être au service des femmes – les aider, non les freiner.

Outre la recherche qu’il mène dans ces domaines, le FMI prend de plus en plus les questions de genre en compte dans ses conseils politiques, programmes et développement des capacités. Depuis 2015, par exemple, nous avons activement inclus l’analyse de genre et le conseil à ce propos dans 39 des bilans de santé économique annuels auprès de nos pays membres, connus sous le nom de « consultations au titre de l’article IV ». Nous nous dirigeons désormais vers une inclusion de l’analyse de genre et du conseil à ce propos dans notre travail élargi avec les pays.

Les programmes soutenus par le FMI renferment des mesures qui contribuent à l’autonomisation économique des femmes. Avec les autorités jordaniennes, par exemple, nous avons discuté de réformes visant à aider les femmes qui incluaient des heures de travail plus flexibles, un meilleur accès aux services de garde d’enfants et des transports publics à la fois plus efficaces et plus abordables. Dans le cadre de son programme soutenu par le FMI, l’Égypte a augmenté le financement des crèches publiques et d’autres installations en vue d’aider les femmes à la recherche d’un emploi.

Notre travail au niveau du développement des capacités inclut des sessions de formation, un avis technique et des ateliers menés par des pairs avec des autorités nationales. Les sujets couverts incluaient la budgétisation favorable à l’égalité de genre, qui vise à comprendre l’impact des politiques fiscales en termes d’objectifs d’égalité entre les genres.

Katja Iversen : La recherche révèle que lorsque les femmes ont la possibilité de participer à la main d’œuvre formelle et d’obtenir un revenu, leur pouvoir d’influence et décisionnel au sein de leur famille et de leur communauté s’en trouve renforcé. Elle indique également que les femmes tendent plus majoritairement à investir leurs gains dans la santé et l’éducation de leurs enfants, ce qui entraîne des répercussions positives qui profitent aux générations futures. Au-delà des avantages sociaux, pouvez-vous également nous parler des avantages économiques de l’autonomisation des filles et des femmes ?

Christine Lagarde : L’autonomisation des femmes peut transformer des vies et des sociétés. Elle peut renforcer une économie de diverses manières – en effet, une meilleure égalité entre les genres peut soutenir la croissance, l’inclusion sociale et la résilience économique.

Une récente étude du FMI révèle que les avantages macroéconomiques d’une meilleure inclusion des genres sont en fait supérieurs à ce qui avait précédemment été estimé.

L’étude s’est penchée sur les conséquences économiques que peut avoir le fait que les hommes et les femmes apportent des compétences et des idées différentes sur le lieu de travail. Par ces différences, les hommes et les femmes se complètent et créent davantage de valeur qui si les lieux de travail étaient moins diversifiés en termes de genre. Et ces complémentarités signifient que l’augmentation de la participation des femmes au sein de la population active – et aux postes de direction – peut entraîner des gains supérieurs à ceux qu’une augmentation de la participation des hommes permettrait d’obtenir.

Il est estimé que si un pays enregistrant un écart de 30 pour cent entre la participation des femmes et celle des hommes dans la main d’œuvre parvenait à combler cet écart, son PIB augmenterait de 25 pour cent. Entre 3 et 7 points de pourcentage de cette augmentation du PIB proviendraient des gains de productivité entraînés par la plus grande diversité de genre.

Il est également important de remarquer que les hommes y ont aussi à gagner, puisqu’une productivité accrue contribuerait aussi à augmenter leurs salaires.

Ce genre de recherche donne au FMI – et aux décisionnaires en général – une solide base d’analyse à partir de laquelle défendre l’importance de l’autonomisation des femmes, non seulement d’un point de vue moral mais également économique, auprès des autorités nationales.

Katja Iversen : Bien que nous sachions que la participation des femmes dans l’économie entraîne des avantages à la fois sociaux et économiques, ces dernières continuent à rencontrer des obstacles juridiques, sociaux et culturels très divers. Il peut notamment s’agir des lois qui empêchent les femmes d’ouvrir un compte en banque ou des normes sociales qui placent les femmes en premier lieu dans le secteur informel et non rémunéré des soins. Quelles solutions/recommandations le FMI et les institutions financières peuvent-ils apporter pour éliminer ces obstacles ?

Christine Lagarde : La recherche du FMI indique que la suppression des obstacles juridiques entraîne une augmentation de la participation des femmes dans la main d’œuvre. Dans la moitié des pays étudiés, lorsque l’égalité de genre était incluse dans la loi, la participation des femmes dans la population active augmentait d’au moins 5 points de pourcentage dans les cinq années suivantes. Le FMI rappelle ces obstacles juridiques et leurs coûts économiques lors de ses discussions avec les gouvernements des pays membres.

Outre la suppression des obstacles juridiques, le FMI fait régulièrement des recommandations sur d’autres manières d’aider les femmes à participer à l’économie.

Dans de nombreuses économies avancées, notre conseil au gouvernement tend à se concentrer sur la manière dont les femmes peuvent jongler entre la vie professionnelle et la vie familiale – et notamment sur l’assurance de dispositions relatives au congé parental, une garde d’enfants abordable et qualitative et des politiques fiscales qui ne pénalisent pas les deuxièmes revenus (généralement ceux des femmes).

Dans de nombreuses économies émergentes et en développement, nous insistons sur l’éducation. Les écarts entre les genres dans l’éducation peuvent être réduits par une augmentation des dépenses publiques dans l’éducation, de meilleures installations sanitaires, la réduction des taux de grossesse chez les adolescentes et le report de l’âge du mariage.

Il est évident que les contributions économiques des femmes ne figurent pas souvent dans les statistiques officielles. Les femmes assument généralement, par exemple, la majorité du travail domestique – un travail qui n’est souvent pas compensé financièrement et pour lequel elles ne reçoivent peut-être pas le soutien nécessaire. Le FMI est en train d’élaborer un document sur la valeur du travail domestique non rémunéré afin d’enrichir ce débat.

Et enfin, nous soulignons la nécessité d’une meilleure inclusion financière des femmes car l’amélioration de l’accès aux services financiers, notamment par les femmes, entraîne d’importants avantages macroéconomiques. Nous avons publié pour la première fois cette année des données portant sur l’offre ventilées en fonction du genre relatives à l’inclusion financière, par le biais de l’enquête sur l’accès aux services financiers (FAS) du FMI. Cette enquête met en exergue les facteurs contribuant à combler les écarts entre les genres au niveau de l’accès aux services financiers, tels que des réglementations simplifiées sur les comptes de dépôt. La FAS a également identifié un manque de données ventilées en fonction du genre dans de nombreux pays. Nous continuerons à collaborer avec les autorités nationales à l’amélioration de la disponibilité et la comparabilité de données portant sur l’accès aux services financiers.

Katja Iversen : De l’emprunt à la réglementation, il y a relativement peu de femmes dirigeantes dans le secteur financier. Nous vous avons entendue défendre l’importance de l’équilibre entre les genres et de la diversité au sein des conseils des institutions financières, en expliquant que « cela mènera peut-être vers de meilleures prises de décisions et moins de risques inutiles ». Vous êtes la première femme au poste de directrice générale du FMI. Pourquoi est-ce important, et quelles sont certaines des mesures clé qui peuvent être prises pour se diriger vers la parité entre les genres à tous les niveaux du secteur financier ?

Christine Lagarde : Dans le monde entier, les femmes occupent moins de 20 pour cent des sièges de conseils d’administration dans les banques et les agences de supervision bancaire et elles représentent moins de 2 pour cent des PDG de banques. Il est intéressant de noter que les économies en développement comptent des proportions plus élevées de femmes aux conseils des banques et des agences de supervision bancaire que les économies avancées.

Les études révèlent néanmoins que les proportions plus élevées de femmes aux conseils des banques et des agences de supervision bancaire sont associées à une meilleure stabilité des établissements. Les banques qui comptent des taux plus élevés de femmes leaders ont davantage de fonds propres et des ratios inférieurs de prêts non productifs. De même, les systèmes bancaires dont les conseils de surveillance comptent davantage de femmes sont moins susceptibles d’être en difficulté.

Que pouvons-nous faire pour aider plus de femmes à réussir dans le domaine de la finance ? Il est important de souligner de manière répétée aux jeunes femmes que le monde de la banque n’est pas seulement « un travail d’hommes ». Les modèles de femmes fortes sont très précieux, tout comme le sont les efforts pour rendre les environnements de travail plus favorables aux femmes, notamment par des pratiques de travail flexibles. Le secteur de la finance est en retard sur ce front.

Plus largement, et non uniquement dans la finance, je pensais qu’il ne devrait pas y avoir de quotas, mais j’ai changé d’avis sur ce point. Pour fonctionner, les quotas doivent être répartis sur l’ensemble des niveaux hiérarchiques d’une entreprise, et il doit exister une liste à partir de laquelle les femmes sont sélectionnées.

Katja Iversen : Comment êtes-vous devenue une défenseure passionnée de l’égalité de genre ?

Christine Lagarde : L’égalité de genre est pour moi une passion personnelle et professionnelle. Quand j’étais enfant, mes parents m’aimaient et me soutenaient, ce qui m’a donné confiance. J’ai également pris certains risques. Lorsque j’avais 16 ans, mon père venait juste de décéder et j’ai accepté une bourse American Field Service pour étudier aux États-Unis. J’étais donc séparée de ma famille alors que nous faisions notre deuil. J’ai vécu dans une famille d’accueil et je suis reconnaissante à ma mère de m’avoir encouragée à prendre ce risque. C’est lors de telles occasions que l’on se nourrit, on assimile et on s’enrichit personnellement. On pourrait donc dire que j’ai grandi en tant que jeune femme indépendante.

Mais malgré cela, j’avais conscience du plafond de verre, et particulièrement aux débuts de ma carrière juridique. À l’occasion de l’un de mes premiers entretiens avec un gros cabinet d’avocats, on m’a dit qu’en tant que femme je ne deviendrais jamais associée du cabinet. J’ai quitté l’entretien et ai cherché un emploi ailleurs, mais cette expérience m’a servi de rappel brutal de l’existence de la discrimination – et j’ai connu d’autres épisodes de la sorte au cours de ma carrière.

Lorsque je suis devenue directrice générale du FMI en 2011, j’ai commencé à voir l’égalité de genre à travers un prisme optique supplémentaire, celui de son importante valeur, potentiellement transformatrice, en termes économiques. Au cours de mes visites dans des pays membres du FMI, j’ai rencontré de nombreuses femmes, de tous milieux, qui m’ont inspirée et qui m’ont vraiment aidée à entretenir ma passion pour l’égalité de genre. Elles étaient un constant rappel que derrière toutes les analyses et les conseils, il y a des gens dont les vies peuvent être transformées.