Pour assurer la santé de toutes et tous, nous devons accorder la priorité à l’égalité entre les sexes
Pour assurer la santé de toutes et tous, nous devons accorder la priorité à l’égalité entre les sexes

Pour assurer la santé de toutes et tous, nous devons accorder la priorité à l’égalité entre les sexes

Dans un entretien exclusif, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, explore le lien crucial entre les soins primaires, l’égalité entre les sexes, les Objectifs de développement durable et la santé pour toutes et tous.

Cette semaine, les leaders de la santé dans le monde se réunissent à Astana, au Kazakhstan, pour la Conférence mondiale sur les soins de santé primaires, en vue de renouveler leur engagement en faveur des soins de santé primaires, fondements de la couverture sanitaire universelle (CSU). Alors que les programmes et politiques font l’objet de discussions, la santé, les droits et le bien-être des filles et des femmes doivent être priorisés. L’implication des femmes, la santé et les droits sexuels et reproductifs et l’égalité de genre doivent être inclus. C’est la seule manière pour le monde d’atteindre la #SantéPourTous.

Il y a 40 ans de cela, les leaders de la santé dans le monde se réunissaient à l’occasion de la première Conférence sur les soins de santé primaires et signaient la Déclaration d’Alma-Ata qui s’engageait à assurer l’accès à des soins de santé qualitatifs pour tout le monde d’ici à l’an 2000.

Près de deux décennies après cette échéance, il reste beaucoup à faire pour atteindre cet ambitieux objectif.

À mesure que les engagements se multiplient en faveur de la réalisation de la santé pour tout le monde et de la CSU, les gouvernements ont la responsabilité de mettre en place des systèmes efficaces de prestation de soins qualitatifs, abordables et rentables pour toutes les filles et les femmes, tout au long de leur vie. Sans un engagement volontaire et incessant en faveur de l’égalité de genre, même les plans les mieux intentionnés pour faire progresser la CSU peuvent laisser les filles et les femmes pour compte.

Pour explorer plus en avant le lien essentiel entre les soins de santé primaires, l’égalité de genre et les ODD, la présidente et PDG de Women Deliver, Katja Iversen, s’est entretenue avec le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus. En tant que directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus est l’expert qui peut expliquer ce qu’il manque pour parvenir aux soins de santé qualitatifs dont nous avons besoin pour l’avenir que nous souhaitons.

Katja Iversen : Comme je l’ai dit précédemment, « la santé et les droits des filles et des femmes sont davantage qu’une mesure des progrès vers la CSU ; ce sont des conditions préalables ». Selon votre expérience, Dr Tedros, quels sont les liens les plus forts entre l’égalité de genre et la santé, et comment pouvons-nous faire en sorte que la CSU réponde aux besoins de santé uniques des filles et des femmes ?

Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus : Lorsque les femmes et les filles sont autonomisées socialement, économiquement et politiquement, elles sont plus à même de vivre une vie exempte de la discrimination, la violence et la coercition qui les exposent à des risques de maladies sexuellement transmissibles, de blessures et de troubles de santé mentale. Lorsque les bonnes conditions sont réunies, elles sont plus susceptibles de contrôler leur sexualité et leur fécondité, et également d’être en bonne santé. L’accès des femmes et des filles à des soins de santé complets et de qualité, à une information sur leur santé et leur corps et à la protection financière leur permettant d’accéder aux services de santé contribuent, ensemble, à l’égalité de genre.

La couverture sanitaire universelle (CSU) vise à « ne laisser personne pour compte » – et je suis convaincu que nous pouvons y parvenir si nous nous basons sur des systèmes solides de soins de santé primaires. Les femmes et les filles (tout comme les hommes et les garçons) ont des besoins de santé spécifiques, dont ceux en lien avec la santé sexuelle et reproductive. Donc tout ensemble de services essentiels doit inclure des services de santé sexuelle et reproductive qui vont au-delà de la santé maternelle et incluent des contraceptifs, la prévention et le traitement du cancer du col de l’utérus et des infections sexuellement transmissibles, la prévention et l’intervention relatives aux violences basées sur le genre et des services d’avortement sans risque là où cela est légal.

L’approche de la CSU qu’adopte l’OMS implique l’élaboration, la planification et la prestation de services de santé visant à répondre à l’ensemble des besoins des femmes et des filles, dont les maladies de santé mentale et non transmissibles, ainsi que la santé reproductive. Et ces normes et pratiques de genre auront une influence sur la santé des hommes et des garçons aussi.

Même lorsque les services sont disponibles, les filles et les femmes peuvent ne pas parvenir à y accéder. Et si les raisons sont diverses, elles incluent le manque d’accès à, ou de contrôle des ressources économiques, la discrimination, les normes et pratiques de genre néfastes et le manque d’information.

Enfin, la voie vers la CSU se doit d’inclure les femmes comme partenaires clé et décideuses. Nous savons qu’une grande partie du progrès en santé pour les femmes et les filles est attribuable aux efforts incessants des organisations de défense de la santé et des droits des femmes. Il faut que leurs voix soient entendues lors de l’élaboration de politiques et de législations en matière de santé, et lors du suivi des progrès.

Katja : De nombreux gouvernements et organisations se sont engagé·e·s à faire progresser la couverture sanitaire universelle pour tout le monde – la question de l’inclusion de la santé et des droits sexuels et reproductifs continue néanmoins de faire débat. Quel argument utilisez-vous pour veiller à ce que la santé et les droits sexuels et reproductifs soient en tête des priorités des programmes de santé et de développement durable au niveau mondial ?

Dr Tedros : Les ODD incluent des cibles ambitieuses en matière de santé, dont la couverture sanitaire universelle (cible 3.8) et l’accès universel aux services de soins de santé sexuelle et reproductive (cible 3.7). Chaque pays prend ses propres décisions à propos des services qu’il inclut dans les propositions de prestations de CSU, mais l’OMS s’est engagée à veiller à ce que la santé et les droits sexuels et reproductifs soient priorisés.

Les responsables des décisions politiques veulent souvent que l’argument économique ou financier l’emporte, et des données indiquent, par exemple, que les investissements dans les contraceptifs sont extrêmement rentables. Les données probantes à l’appui de la SDSR sont irréfutables : lorsque la santé et les droits sexuels et reproductifs sont protégés, préservés et promus, ils contribuent à d’importantes améliorations au niveau de la santé et du bien-être général, et particulièrement pour les femmes et les filles. Investir dans la SDSR entraîne des dividendes au niveau de tous les autres ODD, en égalité de genre, autonomisation économique et développement social.

Mais c’est d’abord et avant tout une question de droits : les investissements en faveur de la disponibilité et de l’accès à la contraception ne seront réalisés que lorsque les femmes et les filles auront le droit de choisir si et avec qui avoir des rapports sexuels, le droit de refuser des rapports sexuels, et le droit de choisir quand et si avoir des enfants.

Katja Iversen : Parvenir à la couverture sanitaire universelle et à la santé pour tout le monde est un objectif à la fois complexe et ambitieux. Comment entretenez-vous, personnellement, votre engagement et votre résilience dans ce travail ?

Dr Tedros : Je vois les résultats. Il y a des exemples dans le monde entier de pays qui prennent des mesures audacieuses en direction de la couverture sanitaire universelle : l’Inde et le Kenya en sont deux récents exemples.

Je crois fermement dans le droit de chaque personne à bénéficier du standard de santé le plus élevé qui soit. C’est ce que défend l’OMS depuis sa fondation. Personne ne devrait mourir parce qu’il ou elle est pauvre. La couverture sanitaire universelle est le moyen de faire respecter ce droit ; c’est un objectif atteignable, bien que les pays suivent différentes voies pour y parvenir. La couverture sanitaire universelle repose sur des soins de santé primaires solides, et est centrée sur la promotion de la santé et la prévention des maladies.

Je remarque également un engagement politique sans précédent en faveur de la CSU. L’expression la plus forte de cet engagement tient dans les objectifs de développement durable, par lesquels les gouvernements se sont engagés à mettre en place une couverture sanitaire universelle d’ici à 2030. La Conférence mondiale sur les soins de santé primaires à Astana, au Kazakhstan, ce mois d’octobre, sera un moment clé pour le renouvellement de l’engagement en faveur des soins de santé primaires, fondements de la couverture sanitaire universelle (CSU).

C’est, en tout état de cause, ce que nos États membres souhaitent. À l’occasion de la dernière Assemblée mondiale de la Santé, ils ont approuvé notre plan stratégique quinquennal pour la période 2019-2023 (le programme général de travail, ou GPW13), qui inclut la cible ambitieuse de voir plus d’un milliard de personnes supplémentaires bénéficier de la CSU d’ici à 2023.

Katja : Dr Tedros, quel est votre engagement, en 140 caractères, en faveur de la promotion de l’égalité de genre et de la santé, des droits et du bien-être des filles et des femmes ?

Dr Tedros : La #SantéPourTous signifie la santé pour tout le monde, incluant chaque fille et chaque femme. La couverture sanitaire universelle est la meilleure manière de s’assurer que toutes les femmes et les filles obtiennent les services de santé dont elles ont besoin, sans devoir faire face à des difficultés financières. La CSU permet d’améliorer la santé et nous rapproche de l’égalité de genre.

Katja : Lors de notre entretien avant que vous ne soyez élu directeur général de l’OMS, vous avez dit que nous devions mettre la santé au centre du programme vers l’égalité de genre, et l’égalité de genre au centre du programme de la santé. Quels exemples spécifiques indiquent la manière dont l’OMS met cela en œuvre ?

Dr Tedros : L’OMS applique les principes de l’égalité de genre dans ses programmes techniques et son travail sur les données probantes et les données, et suit les progrès en direction de la réalisation des ODD en améliorant la capacité des pays à mesurer les inégalités en santé à l’aide de plus de données ventilées.

L’OMS se centre sur la promotion de la santé à toutes les étapes de la vie de toutes les personnes. Par exemple, elle a mis en œuvre la Stratégie mondiale pour la santé de la femme, de l’enfant et de l’adolescent, par le biais de laquelle l’OMS œuvre avec des États membres et des partenaires à l’élargissement de services et programmes transversaux entre la santé sexuelle, reproductive, maternelle, néonatale, infantile et adolescente.

Un autre exemple est notre plan mondial d’action pour le renforcement des systèmes de santé visant à éradiquer la violence à l’égard des femmes et des filles et à l’égard des enfants. L’OMS collabore avec les États membres au renforcement de leurs capacités de prévention de, et de réponse face à la violence, puisque les agent·e·s de santé sont souvent en première ligne dans la réponse à la violence et la prise en charge de ses conséquences.

Un autre exemple encore est celui de notre travail au niveau du renforcement des investissements dans le personnel de santé. Près de 70 % du personnel de santé dans le monde est composé de femmes. Investir dans la création d’emplois pour ce personnel est donc également un investissement en faveur de l’égalité de genre.

Katja : Au cours de vos premiers mois à l’OMS, vous vous êtes engagé à atteindre la parité de genre au sein de l’organisation. Aujourd’hui, un peu plus d’un an plus tard, 60 % du leadership de l’OMS est constitué de femmes. Pourquoi en avez-vous fait une de vos priorités, et quelle valeur cela apporte-t-il à l’avancée vers la CSU, l’égalité de genre et les objectifs élargis de l’OMS ?

Dr Tedros : Il faut faire ce que l’on dit, en matière d’égalité de genre. Nous ne pouvons pas défendre l’égalité de genre, ou nous attendre à ce que nos lignes directrices normatives sur l’égalité de genre et la santé soient appliquées si nous ne le faisons pas nous-mêmes.

De plus, il a été démontré par de nombreuses organisations que le fait d’avoir davantage de femmes à des postes de leadership et d’administration n’est pas simplement une bonne chose, c’est la chose à faire. Avoir plus de femmes à des postes de leadership entraîne des changements positifs dans les organisations, allant d’une meilleure performance à l’innovation, la créativité, la résilience, l’enthousiasme et la productivité. Cela donne également de bons modèles à suivre pour les autres femmes au travail, et réduit la tolérance envers les comportements toxiques sur le lieu du travail, tels que le harcèlement sexuel. La parité de genre au niveau du leadership ne fait ainsi aucun doute, si nous souhaitons que l’OMS soit adaptée à la fois au présent et à l’avenir.

De même, tout comme les objectifs envers la CSU ne peuvent être atteints sans progrès en matière d’égalité pour une moitié de la planète, les objectifs de transformation de l’OMS ne seront pas non plus atteints sans tirer profit du talent de femmes qualifiées et expérimentées.