Le pouvoir de la parole des jeunes : entretien avec Malala Yousafzai
Le pouvoir de la parole des jeunes : entretien avec Malala Yousafzai

Le pouvoir de la parole des jeunes : entretien avec Malala Yousafzai

Au cours de cette échange singilier, Aya Mouallem, Jeune leader Women Deliver, s’entretient avec Malala Yousafzai, co-fondatrice du Malala Fund, des obstacles à l’éducation des filles et au plaidoyer des jeunes en faveur de l’égalité des genres.

Les filles et les jeunes femmes sont confrontées à de nombreux défis au cours de leur vie, allant des restrictions à leur éducation du fait d’attentes liées à leur genre au besoin non satisfait de produits d’hygiène menstruelle, en passant par le manque de place et de capacité de s’exprimer à la table des décisions politiques, qui sont alors prises en leur nom. 

Mais les filles et les jeunes femmes élèvent également la voix pour faire progresser l’égalité des genres et sont les forces motrices de changements dans leurs communautés. 

Au cours de cet entretien exclusif, Malala Yousafzai, co-fondatrice du Malala Fund, et Aya Mouallem, Jeune leader Women Deliverdiscutent du pouvoir du plaidoyer des jeunes à entraîner des résultats pour les filles et les femmes, et à favoriser le progrès pour tout le monde. 

Aya Mouallem : En tant que jeunes, nous apportons nos connaissances et notre passion à la défense de l’égalité des genres, et sommes impatients et impatientes de voir le changement advenir. Il peut cependant encore se révéler difficile de faire en sorte que les responsables des décisions nous prennent au sérieux et nous impliquent directement dans les politiques et programmes qui ont pourtant une incidence sur nos vies. Quel message adressez-vous aux leaders du monde à propos du pouvoir que revêt l’engagement significatif des jeunes ? Avez-vous un exemple ou une anecdote pour illustrer ce pouvoir ?

Malala Yousafzai : Tout d’abord, je souhaite dire aux jeunes qu’il ne faut pas que vous attendiez que quelqu’un au pouvoir vous donne l’autorisation ou vous tende l’oreille pour commencer à défendre vos idées. Vous pouvez commencer par vous informer vous-mêmes sur certaines questions, puis à informer d’autres personnes et à vous organiser au sein de votre communauté. Initiez une dynamique, et essayez de faire de toute personne que vous rencontrez une défenseure.

Pour ce qui est des leaders, je dirais qu’ils et elles devraient avoir remarqué maintenant que cette génération est prête à s’exprimer, à écrire, à mener, à manifester et à voter pour les questions qui lui importent. 

Vous pouvez nous ignorer une ou deux fois, mais nous continuerons à revenir. Et quand vous ne serez plus là, nous reviendrons cogner à la porte de la personne qui vous aura remplacé·e. 

Aya Mouallem : Des progrès ont été réalisés en faveur de l’égalité des genres au cours des années, et j’ai remarqué un changement dans la manière dont les filles et les femmes sont présentées dans les médias : de victimes et personnes vulnérables, elles sont désormais de puissantes actrices du changement. Mais on omet cependant souvent de faire entendre la voix de ces jeunes et leurs opinions, et particulièrement celles des adolescentes. Nous fêtons la Journée internationale de la jeunesse ce mois-ci : dites-nous comment vous travaillez avec les adolescentes et les jeunes femmes pour veiller à ce qu’elles aient une place et une voix à la table des négociations  ?

Malala Yousafzai : J’ai commencé à m’exprimer anonymement sur mon blog à l’âge de 11 ans. Et pour aider davantage de filles et de jeunes femmes à faire part de leur histoire, le Malala Fund a lancé Assembly, une publication en ligne pour et par les filles. Au cours de notre première année, nous avons publié des essais, des photos, des illustrations et des vidéos de jeunes femmes de 83 pays. C’est leur plateforme, sur laquelle elles peuvent parler de leur vie, leurs opinions, de leurs luttes et de leurs réussites au monde entier. J’encourage tout le monde à aller consulter Assembly, et à y contribuer !

Aya Mouallem : Grâce à votre leadership et à votre voix, les questions relatives à l’éducation des filles ont reçu beaucoup plus d’attention au fil des ans. Une question qui reste cependant problématique est celle de l’accès aux ressources, et particulièrement d’installations sanitaires de qualité dans les écoles pour les filles quand elles ont leurs règles. Nous savons que lorsque des ressources WASH – l’accès à l’eau, l’assainissement et l’hygiène – sensibles au genre font défaut dans les écoles, de nombreuses adolescentes se déscolarisent, ce qui limite ensuite leurs possibilités d’être des leaders sur le lieu du travail et dans la société. Comment les communautés, et notamment les parents et le corps enseignant, peuvent-elles réduire cette stigmatisation sociale autour des règles et éviter que les pénuries de ressources WASH ne constituent des obstacles à l’éducation des filles  ?

Malala Yousafzai : Je me suis rendue en Éthiopie le mois dernier pour participer avec des filles à une formation sur des questions relatives aux menstruations et à l’éducation. Certaines filles n’ont aucune information sur les menstruations avant leurs premières règles, et elles sont encore moins nombreuses à bénéficier d’une éducation complète à la santé sexuelle et reproductive. Parce que trop de filles n’ont, de plus, pas accès à des articles d’hygiène menstruelle ou à des toilettes propres dans leur école, beaucoup restent tout simplement chez elles pendant qu’elles ont leurs règles. Pour dépasser cette stigmatisation, nous devons commencer pas parler des règles à l’école, à la maison et entre ami·e·s.

Aya Mouallem : Je vous ai entendue parler de votre aspiration à devenir première ministre du Pakistan. Comment les personnes modèles de votre vie, de votre père à Benazir Bhutto, la précédente première ministre du Pakistan, ont-elles façonné votre vision d’un avenir plus égal entre les genres ? Et comment espérez-vous inspirer d’autres personnes  ?

Malala Yousafzai : J’admire beaucoup de personnes : mes parents, Benazir Bhutto, Nelson Mandela, Martin Luther King, les jeunes femmes que je rencontre quand je me rends dans des pays où les filles se battent pour terminer leur instruction. Toute personne peut nous enseigner quelque chose de précieux. Si les filles apprennent une seule chose de ma vie, jusqu’à présent, j’espère que c’est que parler tout haut des questions qui les concernent peut entraîner des changements, quel que soit leur âge.

Aya Mouallem : Vous prenez la parole au Pakistan et vous exprimez au nom des filles dans les lieux de pouvoir comme ici aujourd’hui. Votre parcours de persévérance pacifique – même confrontée à la violence – est une inspiration pour tant de jeunes dans le monde entier. Quel conseil donnez-vous aux autres jeunes qui ressentent de la frustration face aux reculs ou à la lenteur des progrès vers l’égalité des genres dans leur communauté  ?

Malala Yousafzai : Je ne pense pas vraiment que les jeunes femmes aient besoin de mes conseils. Les filles que je rencontre sont souvent confrontées à d’incroyables difficultés, et elles trouvent leurs propres manières de résister au sein de leur communauté. Elles sont une réelle source d’inspiration. Quand je me sens frustrée par rapport aux avancées, ce sont elles qui me donnent espoir.

Aya Mouallem : Nous savons toutes les deux que les obstacles culturels et les normes genrées comptent souvent parmi les principales difficultés auxquelles les filles sont confrontées dans leur accès à l’égalité et à l’éducation. Mon expérience de défenseure de l’égalité me battant pour que davantage de filles puissent s’impliquer dans les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques au Liban et en Syrie m’a révélé que l’une des difficultés que rencontrent les filles s’intéressant à ces domaines tient dans le manque d’encouragement de la part de leurs parents, qui considèrent ces secteurs comme « trop masculins ». En défiant les tabous sociaux et encourageant votre éducation, Ziauddin Yousafzai, votre père, a défendu l’égalité de manière très marquante, tant pour vous-même que pour les filles du monde entier. Comment, à votre avis, les familles et les communautés, et particulièrement les garçons et les jeunes hommes, peuvent-elles être des alliées et des défenseures de l’égalité des genres au quotidien  ?

Malala Yousafzai : Je pense que les parents peuvent commencer par élever leurs filles et leurs garçons en tant que personnes égales : aller à l’école, faire des tâches ménagères, s’engager dans la carrière de leur choix et se marier ou non, et quand elles et ils le veulent doit être la règle pour tous les enfants de la famille. En tant que personnes, en tant que membres de nos communautés, nous devrions dénoncer les injustices et soutenir les leaders qui croient en l’égalité des genres. Et tout le monde devrait davantage écouter les filles, leur demander leur opinion, soutenir les filles activistes et partager leurs histoires avec nos cercles amicaux et familiaux.