Renforcer la règle de droit pour faire progresser l’égalité de genre : entretien avec Hina Jilani
Renforcer la règle de droit pour faire progresser l’égalité de genre : entretien avec Hina Jilani

Renforcer la règle de droit pour faire progresser l’égalité de genre : entretien avec Hina Jilani

Les partenaires de la campagne Deliver for Good ont invité Hina Jilani – une défenseure de l’égalité de genre de longue date, avocate à la Cour suprême du Pakistan et membre des Sages – à s’entretenir avec Katja Iversen, présidente et PDG de Women Deliver, sur l’importance de renforcer le leadership, la participation et l’égalité des femmes dans la loi.

Faire progresser l’égalité de genre nécessite de changer le cœur et les esprits des gens dans le monde entier – des responsables des décisions aux membres des communautés. Cela nécessite également de disposer des bonnes lois et des cadres juridiques adaptés pour garantir que les filles et les femmes puissent participer de manière active et égale dans la société. Et alors que les protections des filles et des femmes figurent souvent dans les Constitutions nationales, les lois limitent souvent les droits et les libertés des femmes.

Ce mois-ci, les partenaires de la campagne Deliver for Good ont invité Hina Jilani – une défenseure de l’égalité de genre de longue date, avocate à la Cour suprême du Pakistan et membre des Sages – à s’entretenir avec Katja Iversen, présidente et PDG de Women Deliver, sur l’importance de renforcer le leadership, la participation et l’égalité des femmes dans la loi.

Katja Iversen: Vous êtes avocate à la Cour suprême du Pakistan depuis 1992 et avez mené d’importants procès relatifs aux droits humains au Pakistan, et notamment concernant les femmes. Quel rôle la loi joue-t-elle dans les progrès de l’égalité de genre et la facilitation de l’accès des femmes à la justice ?

Hina Jilani: La reconnaissance juridique est la première étape vers une garantie effective des droits et libertés fondamentales inscrites dans les Constitutions nationales et instruments des droits humains internationaux. Cela est particulièrement important dans les sociétés où les femmes sont exposées à des discriminations, des abus et de l’exploitation parce que les protections juridiques ne sont pas disponibles pour supplanter les pratiques sociales/traditionnelles néfastes pour l’égalité des femmes. Le droit de remettre en question les actions des États ou des acteurs privés qui enfreignent la loi permet aux femmes d’accéder à des forums judiciaires où réclamer réparation pour toute plainte, dont la discrimination ou le déni d’égalité.

Les crimes d’honneur au Pakistan illustrent l’importance de disposer de protections juridiques spéciales pour les femmes. Du fait des complications créées par les lois applicables aux meurtres, et de la permission que la loi accorde aux héritiers de la victime de pardonner à l’accusé (avec ou sans compensation financière), les membres de la famille d’une femme étaient en mesure de se dédouaner de ce crime commis en toute impunité, tel que défini par la loi elle-même. Parce que certaines régions du pays soutiennent cette pratique socialement, les tribunaux n’étaient pas enclins à voir l’injustice inhérente à cette loi. Ce n’est que lorsque la loi sur la protection des femmes est entrée en vigueur en 2006 que les tribunaux ont été contraints de ne plus accepter aucun compromis entre les familles et les accusés dans le cadre des crimes d’honneur.

PLes politiques qui requièrent des étudiantes un score de 100 points supérieur à celui des étudiants pour être éligibles en études de médecine est un autre exemple de la discrimination à l’égard des femmes, malgré la garantie par la Constitution de l’égalité et de l’égale protection de la loi. Cette politique a été remise en question, et la Cour suprême du Pakistan a prononcé un arrêt décisif rejetant la politique comme étant discriminatoire et défendant le droit des femmes à l’égalité, tel que garanti par la Constitution.
Ces deux exemples démontrent que la reconnaissance juridique, bien que pouvant être insuffisante pour assurer l’égalité, trace la voie de l’accès à la justice et la supervision judiciaire qui peuvent rectifier la violation des droits fondamentaux.

Katja Iversen: Vous êtes membre des Sages, un groupe initié par Nelson Mandela qui regroupe certain·e·s des leaders du monde les plus important·e·s s’exprimant d’une seule et même voix à propos de la dignité et des droits pour tout le monde. Où l’égalité de genre et le leadership des femmes ont-ils leur place dans ce travail ?

Hina Jilani: Les Sages, et particulièrement Mary Robinson, Graça Machel, Ela Bhatt et moi-même, avons toujours accordé la plus grande importance à l’égalité de genre dans tout notre travail sur la paix, les droits humains et la démocratie. Nous sommes tout à fait conscientes que le droit des femmes à l’égalité, ainsi qu’à la protection contre la violence, sont au centre de tout effort visant à bâtir des sociétés justes ou des systèmes juridiques sains qui rendent justice de manière à aborder tous les aspects des droits humains. Lorsque le groupe s’est formé en 2007, l’un des programmes initiaux se centrait sur l’élimination du mariage des enfants. Le programme s’est développé sous la bannière de Filles, pas épouses. L’accès à la justice est toujours l’un des programmes phare des Sages, avec l’égalité de genre comme axe principal.

Katja Iversen: On vous a déjà citée : « Personne ne peut apporter le changement seul·e. Il y a tellement de personnes légendaires, qui ont influencé le cours des événements dans le monde, mais derrières elles se trouve toujours un effort collectif ». Ceci m’évoque vraiment les partenariats, tels qu’ils sont au centre de Women Deliver et de la campagne Deliver for Good. Comment les défenseures peuvent-elles nourrir ces efforts collectifs vers l’égalité de genre ?

Hina Jilani: Les défenseures des droits des femmes du monde entier ont démontré leur capacité à transformer les luttes individuelles en mouvement qui ont rassemblé la force des engagements collectifs pour atteindre des objectifs communs. Il y a, aujourd’hui, un mouvement mondial de femmes qui s’est développé à partir d’initiatives individuelles de femmes cherchant à obtenir leurs droits au niveau national.

Nous avons également remarqué ce phénomène juste avant la Conférence mondiale sur les droits humains de 1993. Cette mobilisation s’était inscrite dans la mobilisation mondiale de femmes, en amont de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes en 1995. Les femmes qui avaient gagné en visibilité en tant que leaders de mouvements nationaux de femmes étaient parvenues à attirer des femmes dans leur sphère d’influence, dans le cadre de cet effort mondial où les femmes négociaient collectivement le programme mondial et le texte de la Déclaration et le Programme d’action de Vienne.

Katja Iversen: Si la participation politique des femmes est un puissant outil permettant de nourrir le changement, les femmes demeurent néanmoins sous-représentées dans la majeure partie des sphères politiques. En tant que leader active à remettre en question les normes sociales et cadres juridiques qui freinent les femmes, quelles sont à votre avis certaines des solutions clé nécessaires pour renforcer la participation politique et le pouvoir décisionnel des femmes ?

Hina Jilani: Ce ne sont, à mon avis, pas les cadres juridiques ou même les normes sociales qui déterminent la mesure dans laquelle les femmes peuvent acquérir un même espace en termes de participation politique. Je pense que la participation politique des femmes n’est pas limitée à leur part dans un rôle de représentation, et devrait inclure leur capacité à exercer tous leurs droits en tant que citoyennes. C’est pour cette raison que je pense que c’est le niveau de démocratie, et le respect des normes démocratiques dans un pays donné, qui déterminent le potentiel de participation et d’autonomisation politique de femmes. Les défenseures des droits des femmes devraient également reconnaître qu’elles ne peuvent faire progresser leur cause qu’en s’alliant avec d’autres mouvements sociaux et politiques, et qu’elles ne devraient pas s’attendre à ce que leurs droits soient promus de manière isolée ou en se détachant de tout environnement politique dans lequel elles tentent de promouvoir leurs droits.

Katja Iversen: Vous êtes au cœur du mouvement des femmes au Pakistan, et avez notamment fondé le premier cabinet exclusivement composé d’avocates et le Women’s Action Forum, un groupe créé pour remettre en question les lois discriminatoires. Et cela n’a pas été chose facile : vous avez été menacée, intimidée et on a tenté de vous réduire au silence pendant tout ce temps. Êtes-vous toujours résiliente dans votre leadership et votre engagement en faveur des droits des femmes ?

Hina Jilani: Comme toutes les autres défenseures des droits humains, je ne peux pas me payer le luxe d’être pessimiste ou frustrée. Pour moi, tous les gains, aussi petits ou lents soient-ils, me donnent suffisamment d’énergie pour être prête à affronter la prochaine étape vers le changement. Le combat pour le changement est important en tant que tel, et la réussite, parfois, est un bonus plutôt qu’un objectif. L’archevêque Desmond Tutu a dit un jour : « Nous sommes tous prisonniers de l’espoir ». J’ai été dans de nombreuses prisons au cours de ma vie, et me suis battue contre l’injustice des incarcérations politiques, pour moi-même et de nombreuses autres personnes. Je suis néanmoins disposée à rester prisonnière de l’espoir.

Katja Iversen: Le mois de mars est important pour les droits des femmes, avec la Journée internationale pour les droits des femmes le 8, suivie par la Commission annuelle de la condition de la femme. En honneur de ces moments, quel conseil donneriez-vous aux jeunes leaders qui s’efforcent de faire progresser l’égalité de genre dans leur communauté et leur pays ?

Hina Jilani: Soyez toujours outrées par la discrimination et ne sous-estimez jamais votre capacité à atteindre votre objectif d’égalité de genre. C’est un combat qui vaut la peine d’être mené pour nous-mêmes et pour la prochaine génération de femmes, et d’hommes également, car l’égalité de genre est au centre du progrès social qui profite à tout le monde.