Placer les soins de santé maternelle au centre des priorités : entretien avec Dr Edna Adan Ismail
Placer les soins de santé maternelle au centre des priorités : entretien avec Dr Edna Adan Ismail

Placer les soins de santé maternelle au centre des priorités : entretien avec Dr Edna Adan Ismail

La Jeune leader Women Deliver Musu Bakoto Sawo a rencontré la Dr Edna Adan Ismail pour parler de santé maternelle, de pratique de sage-femme et de transformation du schéma narratif relatif aux VBG et aux pratiques néfastes.

Les soins de santé qualitatifs et le soutien nutritionnel à tous les nouveau-nés et toutes les femmes sont essentiels pour garantir un monde en bonne santé. Ce mois-ci, la Jeune leader Women Deliver Musu Bakoto Sawo a rencontré la Dr Edna Adan Ismail pour parler de santé maternelle, de pratique de sage-femme et des femmes en politique. 

Musu Bakoto Sawo : Des défenseur·e·s de l’égalité des genres, praticien·ne·s de santé et leaders du monde entier se réuniront en novembre à l’occasion du Sommet de Nairobi, au Kenya, pour célébrer les 25 ans de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD). Ce sera pour elles et eux l’occasion de faire le point sur les avancées réalisées grâce aux efforts déployés pour concrétiser la santé et les droits sexuels et reproductifs des filles et des femmes, réduire les VBG et améliorer l’état de la santé maternelle. Quelles mesures concrètes les leaders du monde, et particulièrement d’autres leaders d’Afrique, doivent-ils et elles prendre pour favoriser les progrès en vue de la réalisation de l’égalité des genres et prioriser la santé et les droits des filles et des femmes ?

Dr. Edna Adan Ismail : En tant qu’Africaine, qui suis praticienne en santé et défenseure qui me mobilise en faveur de l’égalité des genres et souhaite que des mesures concrètes soient prises en vue de la priorisation de la santé et des droits des filles et des femmes, j’enjoins les leaders africains et africaines à faire une déclaration nationale dans leur propre pays.Je les exhorte également à composer un comité national ayant pour mission de donner la priorité à, de poursuivre et de faciliter des actions de promotion de l’égalité des genres et de la santé et les droits des filles et des femmes. Ces comités nationaux devront ensuite communiquer les actions et mesures qu’ils auront prises, les obstacles rencontrés et les réalisations achevées par le biais de la publication annuelle de rapports. Un soutien international serait ici le bienvenu, afin d’apporter une aide lorsque cela est possible et de récompenser les pays ayant réalisé d’importants progrès.

Musu Bakoto Sawo : Vous avez été une grande pionnière toute votre vie : tout d’abord la première infirmière-sage-femme diplômée du Somaliland, avant de devenir la première femme à y occuper des fonctions de ministre. Vous êtes, aujourd’hui, largement reconnue parmi les grandes défenseures de la santé, et particulièrement de la santé et des droits reproductifs des filles et des femmes. Quelle est la source de votre inspiration à continuer à dépasser les obstacles dans la poursuite de l’égalité des genres, au Somaliland et ailleurs  ?

Dr. Edna Adan Ismail : Comme je l’explique dans mon autobiographie Woman of Firsts , mes parents ont perdu deux de leurs cinq enfants à cause de la piètre qualité des services de santé maternelle et infantile dans mon pays. Ma mère a perdu un enfant au cours d’un accouchement par forceps, alors qu’une césarienne aurait pu sauver la vie du fœtus qui était en souffrance du fait de l’étroitesse de son bassin. Et quelques années plus tard, mes parents ont perdu un deuxième bébé qui est né vivant mais que la sage-femme non qualifiée qui lui avait donné naissance a accidentellement fait tomber. Le nouveau-né a chuté sur la tête et est mort sur le coup. C’est cette tragédie qui a fait de la pratique de sage-femme la passion de ma vie, afin d’éviter à d’autres parents de vivre les souffrances que les miens avaient connues.

Après ma formation au Royaume-Uni et mon retour au Somaliland en tant que première infirmière-sage-femme qualifiée du pays, j’ai été confrontée à la multitude de problèmes de santé auxquels les femmes de nos régions doivent faire face pendant la grossesse et l’accouchement. Ces problèmes sont dus à un manque d’éducation, à la pauvreté et au chômage, mais également le fruit des dégâts causés par les mutilations sexuelles féminines. Outre les problèmes physiques et sanitaires, j’ai pris conscience que les femmes de nos pays n’ont pas d’endroit où exprimer leurs opinions ni leurs inquiétudes. Ce sont ces nombreuses situations qui m’ont incitée à me battre pour nos droits, et qui ont ensuite poussé d’autres femmes à se joindre à nos efforts. Ceci a alors donné lieu à la mise en place d’organisations de femmes en mesure d’exercer des pressions sur le gouvernement et les partis politiques qui avaient besoin des votes des femmes. 

J’ai également pu, au cours de mes années passées à l’Organisation mondiale de la Santé, en parler à d’autres pays et groupes de femmes. 

Ce qui me stimule, aujourd’hui, c’est de voir tout ce que nous avons accompli, mais également le chemin qu’il nous reste à parcourir avant d’atteindre notre objectif de réalisation des droits humains pour tout le monde. 

Musu Bakoto Sawo : Vous avez tout d’abord fondé l’Hôpital Edna Adan en vue de contribuer à la réduction de la mortalité maternelle et infantile par la formation de sages-femmes à la prestation de services de santé vitaux. Cet établissement est désormais devenu un hôpital complet, dans lequel des milliers de futures infirmiers, infirmières et docteur·e·s sont également formé·e·s. Quelles sont vos prochaines priorités, et comment espérez-vous continuer à faire progresser les soins de santé maternelle et infantile au Somaliland  ?

Dr. Edna Adan Ismail : Les services sanitaires du Somaliland ont été totalement détruits par la terrible guerre civile avec la Somalie (1982–1991). Depuis cette date, nous avons déployé d’immenses efforts à l’échelle du pays pour rétablir les services de santé et d’éducation pour nos 4 millions d’habitant·e·s.

Il y a aujourd’hui plus de 500 000 enfants dans les écoles publiques et privées et plus de 25 universités et facultés où une nouvelle génération de jeunes se forment, pratiquement et théoriquement, pour prendre soin de notre population. 

Nous ne disposons pas d’un accès aisé aux formations tertiaires localement, et malheureusement, du fait du manque injuste de reconnaissance politique du Somaliland, les étudiant·e·s se voient refusé l’accès à des formations secondaires et supérieures à l’étranger. C’est pour cette raison, et parce que nous disposons désormais d’un bon nombre de professionnel·le·s de santé titulaires de titres et diplômes universitaires de premier cycle dans diverses disciplines, que nous avons lancé des formations de second cycle en obstétrique, gynécologie, pédiatrie et soins infirmiers/pratique de sage-femme. Nous souhaitons élever le niveau de compétences, de confiance et de leadership parmi nos professionnelles, en vue de les préparer à assumer des fonctions d’encadrement – objectif pour lequel nous cherchons à développer des partenariats et collaborations. 

Musu Bakoto Sawo : Aux côtés de votre engagement envers la santé des mères et des bébés, vous comptez parmi les personnes qui appellent à l’arrêt des mutilations sexuelles féminines (MSF). Selon mon expérience en Gambie, c’est souvent du fait du décalage existant entre les lois, les connaissances et la pratique que les lois visant à lutter contre les MSF ou les connaissances relatives aux conséquences négatives des MSF n’ont pas toujours l’influence souhaitée sur la pratique au sein des communautés. Il y a également des cas dans lesquels des vides juridiques n’assurent qu’un minimum de protection des femmes et des filles à l’égard des MSF. Comment les normes sociales promouvant les MSF devraient-elles être transformées ? Quel message adressez-vous aux communautés, y compris aux parents, leaders religieux·euses et traditionnel·le·s, et aux autorités locales, sur le rôle qu’ils et elles peuvent jouer pour mettre un terme aux MSF  ?

Dr. Edna Adan Ismail : La lutte contre les MSF est un long et rude combat que j’ai commencé à mener dès 1976. Je sais que plusieurs batailles ont été remportées au cours des 42 dernières années, et le fait que le monde soit au courant de cette pratique signifie que notre message a été entendu. Mais malheureusement, des fillettes sont toujours excisées, blessées et tuées, tout cela au nom de cette cruelle tradition qui n’a pas sa place dans le monde. Si toute action, qui ne sauverait même qu’une enfant, est bonne, nous gagnerions à renforcer nos rangs et inclure les lycéen·ne·s et étudiant·e·s qui sont les parents de demain. Nous espérons fortement, et accueillons à bras ouverts le soutien des pères dont les filles sont celles qui sont blessées au point de ne peut-être jamais pouvoir leur donner un jour les petits-enfants que tout parent souhaite avoir un jour. C’est par le biais d’efforts concertés entre parents, leaders traditionnel·le·s et religieux·euseslégislateur·trice·s, activistes et organisations de femmes, que nous parviendrons à sauver nos filles. Promulguer une loi ne sera pas suffisant, et mettre toutes les mères et les grands-mères en prison seraient à la fois impossible et inutile. C’est une législation qui punit la personne qui réalise les MSF que je souhaiterais voir.

Musu Bakoto Sawo : Les jeunes sont déjà la tête de la lutte contre les MSF, dont mes collègues Jeunes leaders Women Deliver Jamie Quam et Isaac Ejakhegbe. Mais pour que les changements perdurent, il faut que davantage de voix et d’opinions de jeunes soient entendues, et particulièrement celles d’adolescentes. Quel rôle les filles et jeunes femmes jouent-elles en termes de leadership au niveau des efforts pour mettre un terme aux MSF et aux violences basées sur le genre (VBG), et plus largement pour concrétiser leur santé et leurs droits sexuels et reproductifs (SDSR)  ?

Dr. Edna Adan Ismail : Dans mon université, peu importe les cours suivis par les étudiants et les étudiantes, tous et toutes doivent suivre celui sur les effets néfastes des MSF, et chacun et chacune doit faire une déclaration publique condamnant les MSF. Toute personne qui ne souhaite pas faire cela ne peut pas rester étudier dans mon université.

Musu Bakoto Sawo : En vous appuyant sur votre expérience de professionnelle de la santé et de défenseure des droits, dont la carrière a embrassé la politique comme le développement international, quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui défendent l’égalité des genres aujourd’hui ? Comment peuvent-elles et ils modifier les récits qui nous sont contés  ?

Dr. Edna Adan Ismail : Il faut continuer à vous former, étudier la question en profondeur, développer vos stratégies de manière collective, vous faire entendre en tant que groupe et par le biais d’articles, de résultats de recherche et de discussions dans les médias et les journaux locaux. Apprenez des autres ce qui fonctionne ailleurs, et partagez avec elles et eux ce qui marche chez vous. Et ne baissez jamais les bras !