Entretien de la première ministre Helen Clark avec la première ministre Jacinda Ardern
Entretien de la première ministre Helen Clark avec la première ministre Jacinda Ardern

Entretien de la première ministre Helen Clark avec la première ministre Jacinda Ardern

Si la recherche révèle que tout le monde va mieux lorsque des femmes sont à des fonctions de leadership. De l’éducation aux soins de santé, du changement climatique à l’égalité salariale, l’investissement en faveur, et le soutien des femmes leaders entraînent des répercussions positives qui profitent aux familles, aux communautés et aux pays.

Si la recherche révèle que tout le monde va mieux lorsque des femmes sont à des fonctions de leadership, il n’y a néanmoins que 12 cheffes d’État à la tête des 193 pays membres de l’ONU.

Il nous faut une forte représentation des femmes à tous les niveaux si nous voulons être à même d’affronter les problèmes les plus complexes du monde. De l’éducation aux soins de santé, du changement climatique à l’égalité salariale, l’investissement en faveur, et le soutien des femmes leaders entraînent des répercussions positives qui profitent aux familles, aux communautés et aux pays.

C’est là un sujet très important pour Women Deliver et nos invitées de renom pour l’entretien de ce mois : Helen Clark, ancienne première ministre de Nouvelle Zélande et ancienne administratrice du Programme des Nations Unies pour le développement et la première ministre néozélandaise récemment élue, Jacinda Ardern. Ces femmes représentent 2 des 3 premières ministres de l’histoire de la Nouvelle-Zélande, et font partie du faible pourcentage de cheffes d’État dans le monde.

La campagne Deliver for Good examine l’intérêt à investir en faveur du leadership des filles et des femmes. Ces femmes sont ainsi en parfaite position pour nous faire part de leurs connaissances et leurs points de vue sur l’importance de renforcer la participation politique et le pouvoir décisionnel des femmes.

Première ministre Helen Clark : Merci de prendre le temps de nous parler, à Women Deliver et à moi-même, de l’importance du leadership et des femmes. C’est merveilleux de voir une jeune leader grimper jusqu’au sommet. Vos premiers mois en tant que première ministre ont été très occupés. En plus d’avoir adopté la loi Healthy Homes sur le logement décent et d’avoir accéléré l’élaboration d’une politique sur la possibilité de suivre des études supérieures gratuitement, vous avez parlé de réduire les écarts salariaux entre les genres, de supprimer l’avortement de la loi Crimes Act 1961 et, plus récemment, de l’importance de veiller à ce que les femmes aient la capacité d’être leaders sur le lieu du travail et au sein de leur famille en tant que mères. Pourquoi l’égalité de genre est-elle une de vos priorités ?

Première ministre Jacinda Ardern : Je vois cela comme une simple question d’équité et de justice sociale. Ce sont, essentiellement, les thèmes qui me motivent en politique et qui me motivent en tant que membre du mouvement travailliste. Tant que les femmes seront surreprésentées dans les emplois faiblement rémunérés ; qu’elles seront, en moyenne, moins payées que leurs homologues masculins ; qu’elles passeront plus d’années de leur vie à payer le prix de leurs études ; qu’elles seront exposées à des taux supérieurs de violence domestique et que, pendant tout ce temps, elles jouiront d’une moindre sécurité financière que les hommes, nous ne vivrons pas dans une société équitable et juste. Donc je considère tous ces éléments comme étant des problèmes importants que nous devons résoudre. Comme je l’ai dit, c’est essentiellement une simple question d’équité.

Première ministre Helen Clark : Nous sommes toutes les deux d’un pays extraordinaire, la Nouvelle-Zélande, qui fut le premier au monde à octroyer le droit de vote aux femmes. C’est un pays habitué à ce que les femmes soient des leaders, et non seulement des premières ministres. J’ai dit par le passé que l’égalité de genre – à la fois en tant que droit humain et force motrice du développement – est plus inscrite dans le Programme 2030 et dans les objectifs de développement durable que dans aucun cadre précédemment. Mais les progrès en matière d’égalité de genre sont inégaux et lents – voire parfois en recul. La communauté internationale se prépare à se réunir à l’occasion de la Commission de la condition de la femme 2018 (CSW62) ce mois-ci. Quel est votre message à l’attention des autres leaders du monde à propos du renforcement de la participation politique des femmes et la promotion de l’égalité de genre ?

Première ministre Jacinda Ardern : Il ne fait pour moi aucun doute que la participation politique contribue à obtenir des changements. Je suis fière que nous ayons désormais, au parlement néozélandais, la plus forte représentation de femmes de toute notre histoire. Mais ce pourcentage n’est toujours que de 38,4 %. Et même à ce niveau, lorsque l’on regarde l’histoire de notre pays, il aura fallu attendre 1984, il me semble, pour avoir un taux de participation des femmes à deux chiffres au parlement. Il ne fait aucun doute que le changement du système pour une représentation proportionnelle mixte a joué un rôle essentiel dans la participation des femmes. En soi, cela en dit long sur les systèmes et processus que les femmes doivent affronter pour se porter candidates et sur ce que nous pouvons faire pour tenter d’encourager une plus grande participation politique. Mais ce n’est pas un hasard que le parlement ayant la plus forte représentation de femmes de notre histoire se soit également engagé à réduire les écarts salariaux entre les sexes, à augmenter les salaires minimums et en faveur de l’égalité de salaire et des questions en lien avec l’avortement.

Ce n’est pas un hasard que le parlement ayant la plus forte représentation de femmes de notre histoire se soit également engagé à réduire les écarts salariaux entre les genres, à augmenter les salaires minimums et en faveur de l’égalité de salaire et des questions en lien avec l’avortement.

Je pense que lorsque la représentation des femmes est plus importante, l’attention se porte naturellement sur les questions qui concernent les femmes.

Première ministre Helen Clark : Les femmes à des postes de pouvoir semblent davantage enclines que les hommes à résoudre des crises nationales sans avoir recours à la violence, et à défendre et budgétiser des politiques sociales qui profitent à tout le monde. À votre avis, est-ce que les hommes et les femmes dirigent différemment et, si cela est le cas, qu’est-ce que cela signifie pour nos communautés et nos pays ?

Première ministre Jacinda Ardern : Oui, nous avons des caractéristiques de leaders différentes, à la fois en tant que personnes et en tant que femmes. Mais dans l’ensemble, je pense que les leaders des pays ont besoin d’un cadre différent que celui avec lequel nous mesurons la réussite de nos décisions politiques. La théorie selon laquelle la réussite d’un pays se mesure en fonction de son PIB, de sa croissance économique et du bilan économique du pays prévaut généralement. Mais bien que ces éléments doivent être pris en compte, mon gouvernement travaille sur un cadre des standards de vie qui mesure également le bien-être et les impacts environnementaux de nos décisions sur les progrès réalisés par notre pays. Je suis très sensible au fait que ce sont là les éléments qui nous indiqueront si nous sommes sur la voie de la réussite en tant que gouvernement, et comment nous nous épanouissons en tant que nation. Que cela soit dû au fait que je suis une femme ou que je suis progressiste, ce sont des choses qui sont importantes à mes yeux.

Première ministre Helen Clark : Vous avez récemment annoncé attendre votre premier enfant. Les femmes en politique sont généralement sous étroite surveillance, et ce d’autant plus lorsqu’elles tentent d’équilibrer leur vie familiale et une carrière exigeante. Pensez-vous qu’il soit important de montrer aux autres femmes qu’il est possible d’être leader dans leur vie familiale et dans leur communauté en même temps ?

Première ministre Jacinda Ardern : Oui, tout à fait. Mais je ne veux pas non plus créer un standard impossible à atteindre et viser la perfection en jonglant entre plusieurs rôles. Je veux que les femmes aient le choix. Si elles choisissent d’être auprès de leur famille à temps plein, elles doivent pouvoir le faire. Si elles veulent travailler et avoir une famille, qu’elles puissent le faire.

Avec le choix vient aussi l’exigence pour nous de rendre les choses possibles : que des revenus uniques soient suffisants pour que les parents puissent décider que l’un des deux reste à la maison. Que les aménagements de travail soient suffisamment flexibles, et que les congés parentaux soient correctement rémunérés. Mais une fois de plus, je ne veux pas créer un standard impossible à atteindre. Chaque décision entraîne son lot de sacrifices. Je sais que je suis très chanceuse en termes de soutien autour de moi, et que tout le monde n’a pas ce même niveau d’aide au quotidien.

Première ministre Helen Clark : Nous avons toutes les deux fait l’expérience des défis et des réussites sur la voie vers la fonction de première ministre. À partir de votre expérience personnelle, quels conseils – personnels et professionnels – donneriez-vous à d’autres femmes qui veulent assumer des fonctions de leader en politique ?

Première ministre Jacinda Ardern : Je réfléchis souvent à ce qui m’a poussée à dire « non » à une occasion, ou qui a nécessité que l’on me convainque d’accepter de faire quelque chose.

Je me rappelle encore vous avoir entendue parler à un événement en Nouvelle-Zélande alors que vous étiez à la tête du PNUD, lorsqu’une personne vous a interrogée sur la première fois où l’on vous a contactée pour assumer ces fonctions. Vous avez raconté que l’on vous avait demandé au téléphone si vous envisageriez cette fonction au PNUD. Et vous avez répondu : « Oh non, je n’ai pas d’expérience dans l’aide humanitaire ou le développement », et la réponse que l’on vous a faite était : « Helen, vous avez dirigé un pays ». C’est quelque chose qui m’a apporté un certain soulagement : Helen Clarke, avec toutes ces années et cette expérience à diriger un pays avec succès, pense encore, comme tant d’autres femmes que je connais, à tout ce qui lui manquerait et aux compétences qu’elle n’a pas, plutôt que de penser à l’immense expérience que cela a été.

Donc mon message aux femmes est le suivant : Ne vous concentrez pas sur ce qu’il vous manque et n’attendez pas d’avoir confiance à 100 % en vous pour faire un travail, parce que c’est là une caractéristique qui nous est propre. Appuyez-vous, si vous en avez besoin, sur celles et ceux qui ont ce qu’il faut et appuyez-vous tant que vous en aurez besoin, jusqu’à ce que vous soyez convaincues vous aussi.

Première ministre Helen Clark : J’ai été députée pendant 27 années et première ministre pendant trois mandats. Tout au long de ma carrière politique, j’ai été poussée par mon engagement à contribuer à offrir un bon avenir aux Néo-Zélandais et Néo-Zélandaises, et la promotion de l’égalité de genre était très importante à cet égard. Pendant les premiers temps de votre mandat de première ministre, qu’est-ce qui vous a donné la motivation et la passion de vous positionner en tant que femme leader et de défendre le droit des autres femmes à assumer des fonctions de pouvoir décisionnel

Première ministre Jacinda Ardern : Je tire une grande partie de ma motivation auprès des jeunes. J’aime me rendre dans les lycées, autant que je peux, pour parler aux étudiants et étudiantes de leurs plans d’avenir, ou pour partager ma simple histoire. Je viens d’une petite ville de Nouvelle-Zélande, et je n’ai pas grandi avec l’ambition d’être première ministre un jour. Non parce que je manquais d’ambition, mais parce que je manquais de confiance en moi pour diriger. Puis je réfléchis aux modèles que j’avais autour de moi en politique. Il y avait vous – mon premier vote a été pour vous, et j’ai grandi politiquement sous votre leadership. Et je regarde les jeunes filles maintenant, et l’importance d’avoir des personnes à ces fonctions qui peuvent les inciter à être des dirigeantes un jour. Et je réalise que j’ai probablement sous-estimé le rôle que je peux potentiellement jouer puisque je me vois toujours comme cette fille de la province qui se retrouve aujourd’hui à assumer la fonction de première ministre.