Des partenariats durables : entretien avec Keith Weed, directeur du marketing chez Unilever
Des partenariats durables : entretien avec Keith Weed, directeur du marketing chez Unilever

Des partenariats durables : entretien avec Keith Weed, directeur du marketing chez Unilever

l’Unstereotype Alliance rassemble des leaders du commerce, de la technologie et des industries créatives, dans le but de mettre un terme à la prévalence des stéréotypes souvent perpétués par la publicité et les contenus médiatiques. Alors que la campagne Deliver for Good étudie les étapes permettant la constitution de partenariats durables en faveur des filles et des femmes, Keith apporte un point de vue essentiel sur le rôle du secteur privé dans la création de partenariats à la fois rentables et porteurs de sens.

L’introduction des objectifs de développement durable (ODD) a créé de nouvelles possibilités pour les parties prenantes actives sur domaines, diverses questions et dans diverses zones géographiques de supprimer les cloisonnements traditionnels et collaborer à la création de changements transformateurs pour les filles, les femmes et l’égalité de genre. En encourageant la collaboration entre « suspects inhabituels », des partenariats peuvent accélérer les progrès et profiter à tout le monde – y compris celles et ceux du secteur privé qui comptent une clientèle, des investissements et des résultats.

Unilever a mis l’accent sur les partenariats stratégiques entre ses différentes marques, notamment par le biais de l’Unstereotype Alliance qui vise à aborder la manière dont le secteur du marketing/de la publicité peut avoir un impact positif sur les changements culturels en faveur de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion. En s’appuyant sur le pouvoir de la publicité, il est en effet possible de contribuer à façonner les perceptions qui reflètent des représentations réalistes et sans préjugés de femmes et d’hommes. Menée par ONU Femmes, l’Unstereotype Alliance rassemble des leaders du commerce, de la technologie et des industries créatives, dans le but de mettre un terme à la prévalence des stéréotypes souvent perpétués par la publicité et les contenus médiatiques.

Ce mois-ci, Katja Iversen, présidente et PDG et Women Deliver, s’entretient avec Keith Weed, directeur du marketing et des communications d’Unilever, pour en savoir davantage sur l’engagement de l’entreprise à tirer profit des partenariats stratégiques pour faire progresser l’égalité de genre. Alors que la campagne Deliver for Good étudie les étapes permettant la constitution de partenariats durables en faveur des filles et des femmes, Keith apporte un point de vue essentiel sur le rôle du secteur privé dans la création de partenariats à la fois rentables et porteurs de sens.

Katja Iversen : Des entreprises technologiques aux start-ups, en passant par les agences des Nations Unies et autres entreprises du secteur privé, Unilever est connue pour ses investissements dans des partenariats transversaux porteurs de sens. L’entreprise déclare même que « les partenariats mondiaux sont un élément vital de notre modèle commercial ». En même temps, Unilever met davantage l’accent sur l’équilibre entre les genres en adoptant une stratégie forte visant l’égalité de genre et en s’engageant à augmenter la représentation des femmes aux postes supérieurs d’encadrement, pour atteindre la proportion de 50/50. Pourquoi Unilever a-t-elle donné la priorité à l’égalité de genre, et comment les partenariats transversaux tels que l’Unstereotype Alliance contribuent-ils à faire progresser cet engagement à une plus grande échelle ?

Keith Weed : Chez Unilever, nous croyons que l’autonomisation des femmes est le catalyseur le plus efficace pour libérer les progrès, tant en termes de développement humain que de croissance économique. Et que de changer les normes et stéréotypes qui freinent les femmes permettra à la société et à notre entreprise de se transformer pour le mieux. Par exemple, 70 % des personnes qui décident d’acheter des marques Unilever sont des femmes, il y a donc des arguments moraux derrière l’égalité de genre, mais également des arguments économiques.

Nous comptons également parmi les plus grands publicitaires et, conscients et conscientes de l’impact de la représentation des normes genrées dans le monde, nous reconnaissons la grande responsabilité qui est la nôtre à ce niveau. C’est pourquoi en 2016 nous avons examiné de près des milliers de publicités dans le monde, de diverses catégories, et les résultats sont effarants :

  • 40 % des femmes ne s’associent absolument pas aux femmes qu’elles voient dans les publicités ;
  • seules 3 % des publicités commerciales présentent des femmes à des rôles de leadership ;
  • 2 % présentent les femmes comme étant intelligentes ; et
  • seulement 1 % présentent les femmes comme ayant un sens de l’humour.

Ce n’est absolument pas une représentation des femmes que je connais ! Nous avons donc décidé d’agir. Tout d’abord au niveau de nos propres publicités, en lançant Unstereotype comme un engagement de toute l’entreprise à modifier les représentations des personnes dans nos publicités, et particulièrement des femmes, afin qu’elles soient plus pertinentes pour notre clientèle et meilleures pour les affaires et la société.

Et l’an dernier, nous avons réuni l’Unstereotype Alliance conjointement avec ONU Femmes et 24 des plus grands publicitaires, agences de publicités, éditeurs et éditrices pour mettre notre pouvoir collectif au service de l’amélioration de l’égalité de genre. Ce groupe rassemble non seulement les plus gros budgets marketing au monde, mais dispose également d’une énorme richesse en termes de compétences complémentaires qui, combinées, peuvent libérer de véritables progrès.

Katja Iversen : Un des piliers de la campagne Deliver for Good est centré sur la modification du schéma narratif relatif aux filles et aux femmes – passant de victimes et plus vulnérables à celui d’actrices du changement et forces motrices vers le progrès. Nous savons que l’Unstereotype Alliance a également cet objectif, qui vise à entraîner une transformation de la publicité au niveau mondiale, un secteur dont les dépenses estimées en 2018 s’élevaient à 557 milliards $. À votre avis, quel rôle la publicité et le marketing jouent-ils dans la modification du schéma narratif relatif aux filles et aux femmes, et plus largement au niveau des progrès en termes d’égalité de genre ?

Keith Weed : La publicité et le marketing jouent un rôle à la fois précieux et essentiel. Chaque jour, des milliards de personnes dans le monde sont exposées aux communications que crée notre secteur. Cette influence peut être utilisée pour renforcer des stéréotypes négatifs, ou pour définir de nouveaux standards d’autonomisation et d’égalité.

Mais il n’est pas simplement question ici de supprimer les stéréotypes qui diminuent ou limitent le rôle des femmes et des hommes, il s’agit également de renforcer la représentation des personnes de différents groupes que notre secteur rend souvent invisibles. Nous devons refléter une société plus inclusive et diverse en termes d’âge, d’origine ethnique, de capacités, d’orientation sexuelle et de parcours personnels.

Un très bon exemple, dont je suis très fier, est le rapport « Helping Dads Care » de Dove Men+Care : une étude innovante permettant de comprendre les attitudes et perceptions qui entourent le congé de paternité. Le rapport révèle que les hommes dans le monde ne prennent pas de congé de paternité parce que l’accès au congé de paternité rémunéré est limité et/ou du fait des stéréotypes traditionnels relatifs à la masculinité dominants dans leur société. Nous avons donc décidé, en interne, de lancer le nouveau standard de congé de paternité mondial d’Unilever, qui propose un congé de paternité de trois semaines entièrement rémunérées à tous nos employés dans le monde entier. La publicité et le marketing sont des outils dont nous pouvons nous saisir pour sensibiliser aux stéréotypes qui nous empêchent de progresser.

Katja Iversen : L’Unstereotype Alliance a réuni plus de 20 entreprises, dont Google, Facebook, Twitter, Procter & Gamble, Johnson & Johnson et de nombreuses autres. Dans cet impressionnant regroupement figurent des entreprises concurrentes qui ne s’assoient généralement pas à la même table. Comment l’Unstereotype Alliance a-t-elle réussi à rassembler autant de parties prenantes issues de secteurs si différents et à les amener à se centrer sur un objectif commun ?

Keith Weed : L’Alliance est menée par ONU Femmes et a un énoncé de mission et une série de principes très clairs qui unissent ses membres autour de valeurs et d’objectifs communs. Nous nous centrons sur l’autonomisation des personnes dans toute leur diversité (genre, race, classe, âge, capacités, origine ethnique, religion, sexualité, langue, éducation, etc.) et sur l’élimination de représentations nuisibles afin de contribuer à créer un monde où règne l’égalité de genre. Et nous savons toutes et tous que nous ne pourrons atteindre cet objectif qu’en mettant la concurrence de côté, au profit de l’intérêt sociétal supérieur et de l’impact culturel élargi de ce programme.

Katja Iversen : Avant le lancement de l’Unstereotype Alliance, Unilever avait procédé à une analyse de publicités qui indiquait que seulement 3 % du temps les femmes étaient présentées à des positions de leadership, que 2 % du temps elles étaient vues comme étant vraiment intelligentes et que 1 % du temps elles étaient montrées comme ayant un sens de l’humour. Et votre recherche indique également que les publicités progressistes et sans stéréotypes présentant des femmes à des fonctions de leadership sont 25 % plus efficaces que celles qui montrent les femmes à des fonctions secondaires. Ceci fait écho à votre commentaire précédent « ce n’est pas qu’une question morale, c’est aussi une question économique ». Quel est l’argument commercial pour inciter les entreprises à investir dans la suppression des stéréotypes et à rejoindre un partenariat à grande échelle porteur de sens ?

Keith Weed : Commençons par rappeler pourquoi il est important d’être une entreprise durable. Ce n’est pas seulement parce que c’est la bonne chose, morale, à faire et que l’on se sent bien à le faire. Bien que ces choses soient vraies, c’est parce que nous savons, chez Unilever, qu’il est prouvé qu’un modèle commercial durable est solide financièrement.

Comme je l’ai dit précédemment, l’argument économique de l’Unstereotype Alliance devient encore plus fort. Nous avons testé nos publicités au cours des deux dernières années et en avons conclu que la publicité progressiste crée 25 % plus d’impact sur les marques et les nouvelles données indiquent que les publicités progressistes sont également 16 % plus pertinentes, 21 % plus crédibles et peuvent stimuler les intentions d’achat de 18 %.

Nos marques nous rapportent que l’argument commercial vaut également pour le changement. Prenez l’exemple de Brooke Bond Red Label, une de nos marques de thé : son modèle de communication de marque contribue à aborder des tabous sociaux et des obstacles sociétaux locaux en initiant la discussion sur un sujet controversé autour d’une tasse de thé. En Inde, par exemple, elle a créé « 6-Pack », le premier groupe musical transgenre d’Inde qui propage des messages d’inclusivité et encourage les gens à être plus accueillants, à accepter de supprimer les obstacles et à se retrouver autour d’une tasse de thé. Les pays ayant adopté le nouveau modèle de communication de la marque se développent trois fois plus rapidement que ceux ne l’ayant pas encore adopté.

Katja Iversen : Au-delà de l’Unstereotype Alliance, Unilever crée des partenariats avec des ONG et autres parties prenantes qui partagent une même vision d’avenir durable. Sur la base de votre expérience chez Unilever et des collaborations transversales que vous avez menées, quels sont les éléments les plus importants des partenariats qui contribuent à aboutir à une entreprise et à une société saines ?

Keith Weed : Pour parvenir à la réalisation du Programme 2030 de développement durable, des systèmes entiers doivent changer. Pour parvenir à l’ODD5 sur l’égalité de genre, le système doit se transformer. Ce changement transformateur ne peut être obtenu que par une action collective/des partenariats qui luttent contre les obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans leur participation à la vie sociale, politique et économique. Agir contre cet état de fait est la condition préalable à l’obtention d’une entreprise et d’une société saines. Et comme je le dis toujours : il est impossible d’avoir une entreprise saine sans une société saine.

Chaque organisation doit comprendre où elle sa contribution peut être la plus importante au niveau du changement systémique nécessaire. Notre entreprise, par exemple, peut aider à modifier le comportement de notre clientèle et remettre en cause les normes sociales afin d’influencer les modèles discriminatoires par le biais du marketing. Nous achetons également du thé à des millions de petites exploitations, dont beaucoup sont dirigées par des femmes. Nous avons ainsi décidé de nous allier à ONU Femmes pour créer un cadre mondial de prévention des violences visant à faire progresser le respect des droits humains sur toute notre chaîne de valeur élargie.

Nous pouvons nous servir de notre portée et de notre taille comme points d’entrée pour créer un changement systémique au sein de notre chaîne de valeur élargie, mais nous ne pouvons évidemment pas créer de progrès en dehors d’Unilever toutes seules et tous seuls. Les partenariats permettent aux organisations de mettre leurs compétences complémentaires en commun pour libérer un véritable progrès. C’est également là une des raisons pour lesquelles nous croyons que les partenariats sont essentiels pour atteindre la vision d’Unilever : « Que le mode de vie durable soit chose courante ».

Katja Iversen : Vous avez notamment exhorté les plateformes technologiques à mieux lutter contre les contenus qui divisent, les discours de haine et l’infox, et avez appelé les géants de la publicité à rejoindre l’Unstereotype Alliance. Unilever est connue pour pousser les marques à prendre des engagements plus audacieux et des mesures plus agressives afin de rendre le monde meilleur et de développer la croissance commerciale. Comment en êtes-vous personnellement venu à vous investir dans la promotion de partenariats qui œuvrent en faveur de l’égalité de genre et plus largement du développement durable ?

Keith Weed : Lorsque je suis devenu directeur du marketing d’Unilever en 2010, l’une des premières choses que j’ai faites a été de fermer notre département de responsabilité sociale des entreprises, ou RSE, afin que la durabilité devienne chose courante et non plus la seule responsabilité d’un département, que tout le monde en fasse son affaire. C’est également cette même année que nous avons créé le plan Mode de vie durable d’Unilever dans le but de dissocier notre croissance de notre empreinte écologique, tout en améliorant notre impact sociétal positif. Notre plan inclut trois grands objectifs à atteindre, sous-tendus par 50 engagements et cibles à échéance fixe qui recouvrent notre performance sociale, environnementale et économique tout du long de notre chaîne de valeur. Depuis 2010, les partenariats ont toujours été indispensables pour réaliser des progrès, leur pouvoir nous apparaît donc évident.

Et l’un de nos engagements, « Des possibilités pour les femmes », vise à autonomiser 5 millions de femmes sur la totalité de notre chaîne de valeur d’ici à 2020. Nous sommes convaincus que l’autonomisation des femmes est le facteur favorisant le développement humain et la croissance économique le plus puissant. Nous mettons sur pied une organisation équilibrée en termes de genre : à la fin de l’année 2017, 47 % de l’équipe dirigeante étaient des femmes, contre 46 % fin 2016. Nous promouvons également la sécurité pour les femmes en collaborant avec ONU Femmes dans l’Assam, en Inde, et par le biais de Shakti, notre opération de vente en porte à porte en Inde, qui fournit du travail à plus de 70 000 femmes de communautés rurales ayant de faibles revenus. En 2017, nous avons également permis à 1,2 million de femmes d’accéder à des initiatives visant à promouvoir leur sécurité, développer leurs compétences et élargir leurs possibilités.

Nous savons que notre impact pourrait être plus grand encore si nous parvenions à contribuer à remettre en cause les normes et stéréotypes néfastes dans la société tout entière, de manière à libérer le potentiel des femmes. Et l’une des manières pour nous de parvenir à cela passe par la publicité. Les partenariats tels qu’Unstereotype Alliance accélèrent cette réflexion au sein de notre secteur et de la société.

Katja Iversen : Alors que les leaders mondiaux et des cadres du secteur privé s’apprêtent à rejoindre New York pour l’Assemblée générale des Nations Unies, quel est votre principal appel à l’action en vue de faire progresser l’égalité de genre ?

Keith Weed : L’ODD17 existe pour une bonne raison. Les partenariats requièrent certes beaucoup de travail, mais ils ont le potentiel de modifier la manière dont le système fonctionne pour les femmes. Le changement total du système sera, en fin de compte, plus durable que des arrangements ponctuels. Certes difficile à réaliser, mais nécessaire.