Des soins de santé complets : Entretien avec le Dr Githinji Gitahi
Des soins de santé complets : Entretien avec le Dr Githinji Gitahi

Des soins de santé complets : Entretien avec le Dr Githinji Gitahi

Alors que la dynamique vers la réalisation de la couverture sanitaire universelle (CSU), prend de l’ampleur, les gouvernements ont la responsabilité de veiller à ce que des systèmes efficaces soient en place pour assurer un continuum de soins pour les filles et les femmes. Le Dr Githinji Gitahi, directeur général d’Amref et coprésident de CSU2030, nous donne son avis sur ce qu’il faut faire pour assurer la santé de toutes et tous.

Les filles et les femmes en bonne santé sont la base fondamentale de sociétés saines. Donnons aux filles et aux femmes un accès à la santé tout au long de leur vie, et elles créeront un monde plus sain et plus riche.

Alors que la dynamique vers la réalisation de la couverture sanitaire universelle (CSU) –l’objectif que tout le monde bénéficie de services de santé qualitatifs et abordables – prend de l’ampleur, les gouvernements ont la responsabilité de veiller à ce que des systèmes efficaces soient en place pour assurer un continuum de soins pour les filles et les femmes, et notamment l’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive. Sans un engagement volontaire et sans relâche en faveur de l’égalité de genre, même les plans pour faire progresser la couverture sanitaire universelle les mieux intentionnés peuvent laisser les filles et les femmes pour compte.

Ce mois-ci, la campagne Deliver for Good explore la voie vers la couverture sanitaire universelle qui inclut les filles et les femmes, avec un entretien spécial entre Katja Iversen, présidente et PDG de Women Deliver et Dr Githinji Gitahi, directeur général d’Amref et coprésident de la CSU2030.

Katja Iversen : Comme je l’ai dit précédemment, « la santé et les droits des filles et des femmes sont davantage qu’une mesure de progrès de la CSU ; ce sont des conditions préalables ». Selon votre expérience, quels sont les liens les plus forts entre l’égalité de genre et la santé, et comment pouvons-nous faire en sorte que la CSU réponde aux besoins de santé uniques des filles et des femmes ?

Dr Githinji Gitahi : Dans de nombreuses communautés en Afrique, les femmes ne prennent pas les décisions finales, même lorsqu’il est question de leur propre santé. Cette inégalité a des effets très néfastes sur la santé des femmes et des filles. L’inégalité de genre et les normes de genre inégalitaires ont une influence sur l’accès aux services de santé. Le déséquilibre de pouvoir entre les hommes et les femmes est la raison principale des taux plus élevés de VIH et d’autres infections sexuelles transmissibles chez les femmes. Les femmes n’ont pas toujours le pouvoir de veiller à ce que leurs rapports sexuels soient sûrs, et elles n’ont d’ailleurs par toujours la capacité de choisir quand et avec qui avoir des rapports sexuels, ni de décider si et quand avoir des enfants. La proportion de femmes ayant un besoin non satisfait de contraception moderne est le plus élevé en Afrique subsaharienne, soit 21 %.

La CSU ne tient pas seulement à une question d’accès ou d’accessibilité financière. Même si les femmes sont en mesure de prendre des décisions relatives à leur propre santé, elles peuvent ne pas disposer des ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins en santé.

La CSU commence donc, à mon avis, au niveau de la communauté. Les communautés – les femmes et les hommes, les filles et les garçons – doivent être autonomisé·e·s afin de faire entendre leur voix et de réclamer leurs droits, non seulement auprès des garant·e·s de ces droits, mais également au sein de leur propre communauté. Les normes sociales qui permettent et perpétuent les inégalités doivent être remises en question et modifiées dans les communautés. Chez Amref Health Africa, nous avons réalisé qu’en rassemblant tous et toutes les membres d’une communauté – les femmes, les personnes âgées, les leaders religieux et religieuses, les filles, les garçons et les hommes –, les pratiques qui entraînent des inégalités et empêchent d’obtenir des améliorations durables au niveau de la santé des filles et des femmes peuvent prendre fin, et le font réellement.

Katja Iversen : De nombreux gouvernements et organisations se sont engagé·e·s à faire progresser la CSU pour tout le monde – la question de l’inclusion de la santé et des droits sexuels et reproductifs continue néanmoins de faire débat. Quel argument utilisez-vous pour veiller à ce que la SDSR soient en tête des priorités des programmes de santé et de développement durable au niveau mondial ? Merci de donner des exemples.

Dr Githinji Gitahi : Le rapport 2018 de la Commission Guttmacher-Lancet révèle la portée du travail inachevé en santé et en droits sexuels et reproductifs (SDSR) : dans les pays en développement, 200 millions de femmes n’utilisent toujours pas de méthode de contraception moderne alors qu’elles souhaitent éviter une grossesse ; plus de 45 millions de femmes reçoivent des soins prénatals inadaptés, voire aucuns soins ; et plus de 30 millions de femmes enceintes n’accouchent pas dans un établissement de santé parce qu’elles ne peuvent y accéder ou parce qu’elles n’ont pas été informées des avantages sanitaires à le faire, pour elles-mêmes et leur bébé.

Au sein de la communauté mondiale, il est largement entendu que la CSU ne sera jamais atteinte si nous continuons à ignorer les importantes lacunes dans le système de santé, conséquentes du manque de priorisation de la santé et des droits sexuels et reproductifs.

Sur la voie vers la CSU, je vois le risque que la communauté mondiale se centre essentiellement sur des approches ancrées dans une perspective « d’universalité », visant clairement à parvenir à une couverture universelle. Mais lorsqu’il est question de couverture universelle, il est fréquent de supposer que les populations sont « uniformes » au niveau communautaire. Nous savons cependant que différents groupes de population ont des besoins de santé différents. Nous savons aussi que des mesures d’équité sont nécessaires pour les groupes marginalisés, afin que tout le monde puisse accéder aux services de santé dont ils et elles ont besoin. Et nous savons que ces mesures d’équité peuvent être très spécifiques. Le problème réside dans le fait que la voix de ces groupes de population est souvent noyée dans les données statistiques au cours du processus de définition de ces mêmes mesures d’équité, où ils demeurent par conséquent « une petite minorité ». C’est également pour cette raison que je défends la mise en place d’un 7e pilier dans les systèmes de santé, en plus des 6 piliers actuels de l’OMS, qui inclurait les besoins des communautés et des citoyen·ne·s.

Ce n’est que si nous faisons de la voie vers la CSU une voie inclusive vers le changement que nous serons en mesure d’intégrer la couverture universelle de la santé et des droits sexuels et reproductifs dans le cadre de la CSU. Ceci débute au niveau communautaire, où nous devons autonomiser les femmes, les hommes, les filles, les garçons, les adolescent·e·s, les agent·e·s de santé et les leaders communautaires et les aider à tenir les décisionnaires du secteur de la santé (et d’autres secteurs, tels que l’éducation, l’agriculture, etc.) pour responsables d’une santé et de droits sexuels et reproductifs de qualité élevée pour tout le monde. Ceci nécessite la mise en place d’un dialogue citoyen ouvert et informé, l’engagement de l’ensemble des membres de la communauté, de la société civile, des acteurs et actrices du gouvernement et du secteur privé. En même temps, la communauté mondiale doit se pencher de manière critique sur les plans de mise en œuvre de la CSU, afin de déterminer si les bons mécanismes de redevabilité sont en place afin que la cible de la CSU inclue la santé et les droits sexuels et reproductifs pour tout le monde. Le rapport de suivi mondial 2017 de l’OMS et de la Banque mondiale  inclut 16 indicateurs de suivi, dont celui du niveau de demande de planification familiale satisfaite à l’aide d’une méthode moderne parmi les femmes de 15 à 49 ans qui sont mariées ou en union (%). Il faut que cet indicateur soit revu pour inclure les femmes « sexuellement actives », de manière à ne pas être discriminatoire en termes de choix ou d’âge.

Ce n’est qu’avec des mécanismes de redevabilité bien définis que le suivi des progrès en santé et droits sexuels et reproductifs peut être assuré en termes de CSU au niveau national.

Katja Iversen : Amref et l’Accélérateur de plaidoyer collaborent à une nouvelle initiative de renforcement des capacités et du soutien aux jeunes pour qu’elles et ils mènent des actions de plaidoyer en faveur de changements politiques qui permettraient de faire avancer l’égalité de genre et la santé et les droits sexuels et reproductifs au Kenya. Lorsqu’il est question de la CSU2030, comment les organisations peuvent-elles garantir un engagement significatif de la jeunesse à tous les niveaux ?

Dr Githinji Gitahi : En Afrique subsaharienne, 77 pour cent de la population a moins de 35 ans, ce qui représente environ 770 millions de personnes. Ces 770 millions de jeunes ont des rêves, du potentiel et l’ambition de modeler l’Afrique, aujourd’hui et demain. Les jeunes veulent être impliqué·e·s et doté·e·s des capacités à s’engager stratégiquement dans des domaines précis qui les concernent au niveau de leur communauté, leur comté et leur pays.

Alors qu’il est plus que jamais temps de passer à l’action, l’impact du plaidoyer des jeunes est souvent entravé par un manque de compétences, d’outils et de ressources. Il n’y a également que peu de mécanismes permettant d’identifier, de connecter et d’impliquer des jeunes dans les actions de plaidoyer stratégique. De plus, nous devons comprendre que les jeunes ne forment pas un groupe homogène, et que les déséquilibres de pouvoir qui commencent dès la naissance entre garçons et filles freinent parfois la participation des filles et des femmes. Au Kenya, par exemple, nous savons qu’il y a moins de femmes à la tête d’organisations dans les communautés rurales et pastorales. Il est important de comprendre cela et d’agir en fonction.

Le renforcement des compétences des organisations de base menées par des jeunes et par des femmes est essentiel à l’obtention d’un impact inclusif.

Les organisations doivent donc soutenir les jeunes qui souhaitent renforcer leur représentation et promouvoir l’engagement des jeunes dans les organes décisionnels aux niveaux du comté et du pays. Nous devons entendre les voix des jeunes femmes rurales pour garantir que la CSU devienne véritablement universelle. Comprendre les communautés, autonomiser les filles et les garçons, les impliquer dans les organes décisionnels et les outiller nous aideront à façonner une CSU pour notre jeunesse. Chez Amref Health Africa, par exemple, nous organisons des parlements de jeunes où ils et elles peuvent s’exprimer sur les politiques et la gouvernance relatives à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. C’est par ces initiatives que nous renforçons la responsabilité sociale au niveau local, afin que leurs voix soient entendues au moment de l’élaboration des politiques.

Katja Iversen : Parvenir à la CSU est un objectif à la fois complexe et ambitieux. Comment entretenez-vous, personnellement, votre engagement et votre résilience dans ce travail ?

Dr Githinji Gitahi : Je viens d’une communauté où l’accès à la santé a toujours été précaire. J’ai vu des gens mourir jeunes de maladies à la fois évitables et guérissables. Chez Amref Health Africa, nous croyons que les partenariats avec les communautés permettent d’obtenir des changements durables au niveau de la santé et d’inverser les tendances actuelles. Nous avons pu obtenir de bons résultats dans plusieurs pays, et chacune de ces petites réussites me motive à élaborer et généraliser davantage d’interventions innovantes en vue de parvenir à la CSU.

Katja Iversen : Quel est votre engagement, en 140 caractères, en faveur de la promotion de l’égalité de genre et de la santé, des droits et du bien-être des filles et des femmes ?

Dr Githinji Gitahi : L’universalité n’est pas l’uniformité. Pensons aux femmes et aux filles d’abord. Avec courage et sans s’excuser !