Ce que veulent les femmes : entretien avec Aparajita Gogoi
Ce que veulent les femmes : entretien avec Aparajita Gogoi

Ce que veulent les femmes : entretien avec Aparajita Gogoi

Pour améliorer la santé maternelle, la Dre Aparajita Gogoi, coordonnatrice nationale de la White Ribbon Alliance India, nous explique qu’il faut d’abord poser aux femmes des questions simples afin de mieux comprendre en quoi consiste leur souhait d’accéder à des soins de santé de qualité qui soient respectueux à tous les niveaux — notamment en cours de grossesse et d’accouchement.

Que veulent les femmes ? C’est là une question simple, quoique compliquée. Au minimum, les femmes veulent – et méritent – le droit fondamental de vivre une vie saine, en sécurité. Au centre de ceci figure l’accès à des soins de santé qualitatifs et respectueux à tous les niveaux – y compris au cours de la grossesse et de l’accouchement.

Mais malgré les progrès accomplis pour réduire les taux de mortalité maternelle et néonatale, près de 300 000 filles et femmes meurent encore chaque année de complications en lien avec la grossesse. L’Inde enregistre 15 % des décès maternels dans le monde, soit près de 44 000 femmes qui meurent chaque année de causes en lien avec la grossesse.

Alors que de très nombreuses interventions cliniques et services de santé sont disponibles pour faire baisser ces taux, que peut-il être fait pour assurer la qualité des soins pour les femmes dans le monde ? Une de interventions possibles consiste à demander « Que veulent les femmes ? » à l’occasion de dialogues communautaires et d’audiences publiques.

Ce mois-ci, Deliver for Good cherche à aborder ce sujet à l’occasion d’une conversation entre Susan Papp, directrice générale des Politiques et du Plaidoyer de Women Deliver, et Aparajita Gogoi, coordinatrice nationale de la White Ribbon Alliance Inde. Cette conversation s’appuie sur une étude publiée conjointement par Susan et Aparajita sur le rôle des audiences publiques dans l’amélioration de la santé maternelle en Inde. Elle est également liée à une nouvelle campagne que les deux organisations ont récemment décidé de lancer ensemble. En tant que défenseure passionnée de la maternité sans risques et personne d’influence de renom dans le domaine des politiques de soins de santé maternelle, Aparajita Gogoi est en première ligne des efforts mondiaux d’amélioration de la santé maternelle et néonatale pour tout le monde.


Susan Papp : Le taux de décès maternels en Inde est estimé à 167 décès pour 100 000 naissances vivantes. On a récemment rapporté que vous aviez dit que 80 % de ces décès sont dus à des causes évitables : quelles sont certaines des mesures spécifiques que nous pouvons prendre pour éviter ces décès ?

Aparajita Gogoi : Plus de 80 pour cent des décès maternels sont dus à six causes : hémorragie, éclampsie, travail avec obstruction, septicémie, complications dues à un avortement non médicalisé et conditions préexistantes, telles que l’anémie, le paludisme, etc. La plupart de ces causes peuvent être traitées dans un hôpital ou une unité de première référence dotée des installations d’urgence et du personnel qualifié en soins obstétricaux nécessaires.

Alors que l’on sait que les décès maternels peuvent largement être évités en mettant en œuvre certaines interventions sanitaires de base, telles que l’amélioration de l’accès aux soins qualifiés et aux soins obstétricaux d’urgence, et la garantie de l’accès aux services de planification familiale qui permettent aux femmes de choisir si, quand et combien d’enfants avoir, nous devons également traiter les causes sous-jacentes de la mortalité maternelle, telles que le statut économique inférieur des femmes, les faibles taux d’alphabétisation des femmes, le manque de pouvoirs décisionnels et les mariages précoces. Reporter le mariage et la première grossesse et éviter les grossesses non désirées par le biais d’une protection éclairée sont extrêmement importants, en plus de la création d’un environnement social positif par l’éducation des familles et des communautés aux soins à apporter aux femmes enceintes, en leur apprenant à reconnaître les signes de danger au cours de la grossesse, en s’assurant que les dispositions financières et de déplacement soient prises, et que les établissements de santé offrant des soins obstétricaux essentiels soient identifiés, en cas d’urgence.

Susan Papp : Les agent·e·s de santé jouent un rôle essentiel dans la prestation de soins de maternité qualitatifs et respectueux. Dans les pays à faible revenu, malheureusement, seules 51 % des femmes accouchent en présence d’une prestataire de soins de santé qualifiée, ce qui compromet la qualité des soins et entraîne à la fois des décès maternels et néonatals. Pourquoi la qualité des soins est-elle un problème récurrent, et qu’est-ce qu’il peut être fait pour renforcer les systèmes de santé – et notamment augmenter la capacité des agent·e·s de santé – de manière à proposer des soins de qualité, sûrs et dignes au cours de la grossesse et de l’accouchement ?

Aparajita Gogoi : La qualité des soins (QS) est de plus en plus reconnue comme un aspect essentiel des programmes de santé maternelle et néonatale, et ce essentiellement en ce qui a trait aux soins pendant le travail et l’accouchement, et le postpartum immédiat. Une couverture élargie n’est pas suffisante pour réduire la mortalité. Pour faire considérablement baisser la mortalité maternelle et néonatale et se diriger vers l’élimination des causes évitables de décès maternel et néonatal, une couverture élargie doit être accompagnée par une amélioration de la qualité tout du long du continuum de soins.

Dans un système de santé, la qualité recouvre notamment l’efficacité clinique, la sécurité et une bonne expérience pour la patiente, et implique des soins qui soient efficaces, centrés sur la patiente, opportuns, rationnels et équitables. L’amélioration de la QS en santé maternelle ne peut être un changement vertical, mais bien plutôt diagonal, qui implique une amélioration des soins de santé reproductive, ainsi que de la qualité du système de santé global. Nous devons trouver des solutions au nombre insuffisant de membres de personnel technique et de soutien en santé, résoudre les pénuries de médicaments essentiels, limiter les attitudes inadéquates/méprisantes au sein des agent·e·s de santé, réduire les coûts élevés des soins de santé, éliminer la corruption/ le paiement illégal de frais et améliorer les infrastructures de santé défaillantes.

Notre travail nous rappelle également l’importance du degré de « tolérance zéro » à l’égard de toutes les formes de manque de respect et d’abus au sein des établissements de santé, puisque les femmes décident de ne pas accéder aux services par peur du manque de respect et des abus. Encourager d’autres mesures telles qu’autoriser la présence d’une personne aux côtés des femmes enceintes pendant le travail et l’accouchement entraînera également des résultats positifs.

Susan Papp : En 2017, la White Ribbon Alliance Inde a lancé la campagne « Hamara Swasthya, Hamari Awaz », qui signifie « Notre santé, nos voix ». La campagne a directement impliqué plus de 143 500 femmes en leur demandant « Que voudriez-vous d’un établissement de santé reproductive, en matière de qualité élevée de soins de santé reproductive et maternelle et de services en lien avec la grossesse, l’accouchement et la planification familiale ? ». L’objectif de la campagne était de fournir aux responsables des décisions en Inde et aux défenseur·e·s de la santé et des droits maternels des données relatives aux questions les plus cruciales en soins de santé maternelle. Pourquoi l’accès à des données précises est-il si important pour ce travail ? Quelles lacunes ont été comblées par cette initiative, et lesquelles subsistent ?

Aparajita Gogoi : Il est de plus en plus démontré que la perception de la qualité des soins par les patientes et leur satisfaction à l’égard des soins sont essentielles au recours aux services de santé. La qualité perçue est un déterminant clé de l’utilisation, et la satisfaction des utilisatrices est « le jugement par les patientes de la qualité et de la bienveillance des soins ». La qualité des soins a un impact sur le fait que les femmes aient recours à des soins, et sur le lieu où elles les recherchent. Les femmes sont disposées à parcourir de plus longues distances pour atteindre une clinique qui dispense des soins de meilleure qualité. Puisque la perception par la femme de la qualité des soins qu’elle reçoit pendant le travail et l’accouchement est susceptible d’influencer sa décision de recourir ou non à des soins de santé en établissement, il est important de déterminer ce que signifie la qualité des soins du point de vue de chacune des femmes.

Lorsqu’il est question de soins de qualité, la plupart des gens se centrent sur la mesure de l’infrastructure de l’établissement, les ressources humaines et les mesures de sécurité. Mais bien peu évaluent la qualité des soins du point de vue des femmes. Et peu examinent les aspects des soins tels que la manière dont la femme a été traitée par le personnel de l’établissement, si les soins ont été dispensés en temps opportun, ou si l’établissement était propre.

La campagne « Hamara Swasthya, Hamari Awaz », mise en œuvre par la White Ribbon Alliance Inde, a placé les femmes au centre de la campagne et s’est adressée directement aux femmes afin de comprendre ce dont elles avaient besoin en matière de soins de santé maternelle de qualité en Inde. La campagne a touché près de 143 550 femmes dans tout le pays, et fourni une plateforme pour qu’elles soient entendues aux plus hauts niveaux du gouvernement. L’analyse des « demandes » des 143 550 femmes de toute l’Inde a conclu que 36 % demandaient des droits en matière de santé maternelle, des services et des fournitures, suivies par 23 % d’entre elles qui recherchaient des services fournis avec dignité et des soins respectueux. Ceci signifie que près de 4 femmes sur 10 ont fait une demande d’accès à des services de santé maternelle, tels que des médicaments et des examens médicaux gratuits, un accès à des banques de sang, des soins post-natals, etc. Et que 20 % des femmes demandent la disponibilité de prestataires de santé, alors que 16 % veulent des établissements de santé propres et hygiéniques.

Cette campagne nous a permis de comprendre les priorités des femmes à un moment crucial de leur vie, et d’inclure leurs réponses collectées et agrégées dans des programmes.

Susan Papp : Ce programme est considéré être un énorme succès en Inde, et la White Ribbon Alliance vient de l’adapter pour en faire une campagne mondiale intitulée « Ce que veulent les femmes », qui prévoit d’interviewer un million de femmes et de filles dans le monde – des capitales aux zones rurales – à propos de leur principale priorité en termes de services de santé maternelle et reproductive de qualité. Comment et pourquoi la White Ribbon Alliance priorise-t-elle les filles et les femmes dans les programmes et politiques qui ont une influence sur leur vie ? Quelles leçons d’autres organisations peuvent-elles en tirer ?

Aparajita Gogoi : La White Ribbon Alliance Inde (WRAI) comprend que les femmes, et particulièrement celles qui vivent dans les régions rurales du pays, sont confrontées à de nombreux défis en matière de services de soins de santé maternelle. Il est ainsi important d’impliquer les femmes directement et de comprendre les changements qu’elles souhaiteraient en termes de meilleurs services de soins de santé maternelle, en vue d’atteindre l’équité et la dignité pour toutes les femmes. S’adresser directement aux filles et aux femmes du monde entier permettra aux gouvernements, aux professionnel·le·s de santé, aux prestataires privé·e·s et aux organisations de la société civile de mieux comprendre leurs réalités, questions et demandes, veillant ainsi à ce que l’élaboration des politiques et programmes de santé maternelle répondent à leurs besoins.

Ces genres de données, obtenues directement auprès des citoyen·ne·s, peuvent permettre de faire remonter certaines questions en tête des ordres du jour politiques et médiatiques car elles reflètent les réalités des femmes. De telles données donnent aux citoyen·ne·s elles et eux-mêmes la possibilité d’identifier des manières de s’assurer de la réalisation effective des ODD. Les citoyennes et les citoyens prennent également les devants en fournissant des données sur les thématiques qui les préoccupent.

Susan Papp : La mortalité maternelle est souvent une conséquence de l’inégalité de genre. Quelles inégalités avez-vous vu impacter directement les soins de santé maternelle, et comment peut-on les rectifier pour assurer la qualité, l’équité et la dignité pour toutes les filles et les femmes ?

Aparajita Gogoi : Les décès des filles et des femmes au cours de l’accouchement ne sont pas uniquement dus à un manque de personnel qualifié ou de services de santé. Ils se produisent parce que nous n’accordons pas de valeur aux vies des filles et des femmes. De nombreuses sociétés sont patriarcales et misogynes, au point où des filles sont tuées avant même de naître.

L’obligation d’améliorer la santé des femmes va bien au-delà du secteur de la santé. Modifier les normes de genre, éviter les mariages et accouchements précoces, améliorer la nutrition, améliorer l’éducation, améliorer l’accès à l’information et au pouvoir décisionnel et obtenir le soutien des hommes et autres membres de la famille sont aussi, voire plus, importants. Nous devons faire évoluer les normes et pratiques sociales vers davantage de respect pour, et de jouissance des droits égaux pour les femmes. Puisque l’interconnexion d’autres secteurs avec la santé des femmes a été démontrée, une collaboration transversale est nécessaire pour obtenir des résultats. Dans les pays où les indicateurs d’égalité de genre sont meilleurs, par exemple, l’incidence de la rougeole, oreillons et rubéole (ROR) est inférieure.

Le mariage des enfants doit être évité, car nous savons que les filles qui accouchent avant l’âge de 15 ans sont cinq fois plus susceptibles de mourir en couches. Nous devons éviter aux filles de devenir mères, et pour ce faire, nous devons leur permettre de terminer leur scolarité secondaire, ce qui les rend six fois moins susceptibles de se marier tôt, en comparaison avec celles qui ont peu, ou pas, d’éducation. Les filles qui ne sont pas scolarisées sont quatre fois plus susceptibles d’avoir un enfant avant leur 19e anniversaire. Permettre aux filles de terminer leur scolarité secondaire entraîne, non seulement de meilleurs résultats en santé reproductive, dont une multiplication par quatre de la pratique contraceptive, mais les économistes disent que si 10 % de filles en plus étaient scolarisées, le PIB d’un pays pourrait augmenter en moyenne de 3 % !!

Susan Papp : Maintenant que nous en savons davantage à propos de la campagne « Que veulent les femmes ? », nous devons vous demander « Quelle est votre demande en matière de services de santé reproductive et maternelle de qualité ? ».

Aparajita Gogoi : Il est difficile de mettre en avant une demande en particulier, au nom de l’Alliance, puisque nous avons déjà reçu 150 000 demandes de la part de femmes. Mais si nous devions n’en retenir qu’une, ce serait le degré de tolérance zéro envers le manque de respect et les abus dans les services de santé.