Une question de pouvoir avant tout : entretien avec le Secrétaire général des Nations Unies
Une question de pouvoir avant tout : entretien avec le Secrétaire général des Nations Unies

Une question de pouvoir avant tout : entretien avec le Secrétaire général des Nations Unies

À l’occasion de cette conversation Deliver for Good, la présidente et PDG de Women Deliver Katja Iversen s’est entretenue avec António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, sur sa vision de la promotion de l’égalité des genres et l’incitation des leaders du monde à faire avancer la question en ce sens. 

Dans moins d’un mois, Vancouver (Canada) accueillera des défenseur ·e ·s de l’égalité des genres et décideur·euse·s du monde entier pour la Conférence Women Deliver 2019. Au programme : le pouvoir, le progrès et le changement pour les filles et les femmes.

Parvenir à un monde dans lequel les genres sont sur un meilleur pied d’égalité et faire progresser les Objectifs de développement durable nécessite une transformation du pouvoir à tous les niveaux – y compris dans certaines des institutions les plus influentes, telles que les Nations Unies.

À l’occasion de cette conversation Deliver for Good, Katja Iversen, présidente et PDG de Women Deliver, s’est entretenue avec António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, sur son approche de la promotion de l’égalité des genres et l’incitation des leaders du monde à faire avancer les choses en ce sens. Il sera notamment question de parité entre les genres aux différents postes de direction et de placer les filles au centre de la couverture sanitaire universelle : ne ratez pas cet entretien ! 


Katja Iversen : Vous êtes parvenu, au terme d’une année à la direction des Nations Unies, à instaurer l’égalité des genres au sein du Conseil de gestion. Pourquoi était-ce l’une de vos premières priorités ? Et comment comptez-vous continuer à favoriser l’égalité au niveau des instances de direction et de la participation à l’échelle du système de l’ONU ?

António Guterres : La parité femmes-hommes tient de l’impératif moral et de la nécessité opérationnelle pour les Nations Unies. Mais sa réalisation tardait à se concrétiser. C’est pourquoi j’ai immédiatement pris certaines mesures, dès mon entrée en fonction en 2017, et que j’ai lancé, l’an dernier, la stratégie à l’échelle du système des Nations Unies sur la parité femmes-hommes. Nous avons grandement progressé en peu de temps. En une seule année, nous avons atteint la parité femmes-hommes au sein de mon Conseil de gestion et parmi les Coordonnateurs Résidents et Coordonnatrices Résidentes, nos responsables sur le terrain. Nous sommes également près d’atteindre la parité aux différents postes de direction principale de l’ensemble des Nations Unies, soit bien avant l’échéance de 2021 à laquelle je m’étais engagé. Il nous reste néanmoins beaucoup de chemin à parcourir avant que la parité ne soit la règle à l’échelle de l’Organisation dès 2028, et ce particulièrement au niveau des missions de maintien de la paix, où l’écart est le plus marqué et les changements les plus lents à advenir. Il y a cependant lieu de noter que ces efforts ne portent pas que sur des chiffres. Il est en effet question d’une transformation globale de la culture onusienne, de la mise en place d’un lieu de travail à la fois inclusif, accueillant et divers, et de l’amélioration de l’efficience, de la crédibilité et de l’impact de l’ONU.

Katja Iversen : Vous insistez sur l’importance des partenariats. Comment entendez-vous encourager une collaboration plus ample en vue d’accélérer le passage à l’action sur les 17 Objectifs de développement durable, et notamment l’ODD 5 sur l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes ?

António Guterres : L’un des points forts des Objectifs de développement durable tient dans leurs interconnexions. L’ODD 5 en est un excellent exemple. Nous n’atteindrons jamais nos objectifs sans l’égale participation de la moitié de la population du monde, sans nous appuyer entièrement sur l’ensemble de son savoir-faire, ses capacités et son expérience. Mais de la même manière, la mise en place d’un programme d’inclusion et d’égalité signifie également de supprimer les obstacles qui se dressent dans l’ensemble des objectifs. L’Initiative Spotlight entre l’UE et l’ONU visant à éliminer les violences à l’égard des femmes et des filles est une des principales illustrations de nos efforts en ce sens. Cette initiative de financement est calquée sur le modèle du financement des ODD et constitue un élément central des efforts de réforme des Nations Unies qui cherchent à rapprocher les différentes entités de l’organisation afin de mieux respecter nos engagements communs. Fruit d’un partenariat solide entre l’Union européenne, des gouvernements, des organisations de la société civile et les Nations Unies, la diversité qui caractérise Spotlight permet à l’ensemble des partenaires de mettre leurs atouts en avant. Je continuerai à tendre l’oreille aux jeunes, au secteur privé, aux groupes confessionnels, à la société civile, aux personnalités phares de la culture, ainsi qu’aux autres allié·e·s dans le monde afin de recueillir leurs idées et leurs contributions les meilleures. 

Katja Iversen : Une réunion de haut niveau sur la couverture sanitaire universelle se tiendra à l’occasion de la 74e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Comment nous assurer que les filles et les femmes soient parties prenantes de toutes les conversations et mesures relatives à la CSU ? 

António Guterres : Les filles et les femmes sont souvent les plus marginalisées dans le système de santé mondial, alors que la couverture sanitaire universelle est un moteur essentiel de l’égalité des genres. C’est pour cette raison qu’elles doivent y être intégrées, non seulement comme bénéficiaires mais bien au moment de la conception des systèmes de CSU, et notamment des questions de santé sexuelle et reproductive. Le travail des organisations de femmes qui pointent du doigt les incohérences des prestations de services et influencent les réformes des soins de santé continuera à être déterminant. Nous devrons également en faire plus, ensemble, en vue d’élargir la collaboration au-delà du secteur de la santé et inclure l’accès à l’eau, l’assainissement et l’éducation. Tout comme il nous faudra œuvrer au niveau des déterminants sociaux et structurels de la santé qui, dans la plupart des cas, impactent négativement les femmes et les filles.

Katja Iversen : Vous avez déclaré que la santé mentale est une « question négligée » et défendez qu’il n’y a « pas de santé sans santé mentale ». Comment veiller à ce que la santé mentale soit partie intégrante des discussions relatives à la CSU, et incluse dans le programme global des ODD ?

António Guterres : La détérioration de la santé mentale est un défi en hausse à l’échelle mondiale, dont les conséquences familiales, économiques et sociétales sont importantes. La dépression est une des premières causes de handicap dans le monde, le suicide est la deuxième cause de décès chez les 15 à 29 ans, et les personnes ayant les problèmes de santé mentale les plus aigus vivent près de 20 ans moins longtemps, du fait de problèmes physiques évitables. De plus, l’anxiété et la dépression entraînent d’énormes coûts pour lepatronnats, dont au moins 12 milliards de journées de productivité perdues. À certaines époques de leurs vies, les filles et les femmes sont particulièrement concernées, par le suicide des adolescentes et la dépression post-partum par exemple. Il faut que les gouvernements augmentent radicalement la proportion de leur budget de santé allouée à la santé mentale, et mettent en place des politiques et programmes qui déstigmatisent les problèmes connexes.

Katja Iversen : Vous vous êtes qualifié de « fier féministe » et enjoignez tous les hommes à soutenir les droits des femmes. Quelles mesures concrètes les leaders masculins peuvent-ils prendre ? 

António Guterres : Le monde a besoin de davantage d’hommes et de garçons défenseurs de l’égalité des genres, et de davantage de leaders disposés à tirer profit de leurs fonctions pour mettre au défi les structures, croyances, pratiques et institutions qui soutiennent les privilèges masculins.  J’aimerais particulièrement entendre plus d’hommes s’exprimer en vue de modifier le schéma narratif qui considère que l’égalité des genres est une problématique de femmes, en une version dans laquelle ce combat est une question de droits de la personne. Nous devons impliquer des hommes et des garçons dans la promotion de la transformation à un niveau individuel – dans leurs relations avec leurs partenaires, leurs enfants et leurs ami·e·s –, ainsi qu’aux niveaux structurel et professionnel, par exemple en encourageant les hommes à dénoncer le harcèlement sexuel avec leurs pairs et à assurer une part équitable des tâches non rémunérées et du travail domestique dans leur foyer. Lorsque des hommes en voient d’autres mettre l’égalité en pratique, la culture peut changer.

Katja Iversen : Le thème de la Conférence Women Deliver 2019 est celui du « pouvoir ». Quel est votre message à l’attention de leaders du monde sur la manière de mettre davantage de pouvoir entre les mains des filles et des femmes ?

António Guterres : L’égalité des genres est avant tout une question de pouvoir. Tout au long de l’histoire, les femmes ont été soumises à une culture conçue par et pour les hommes, dans laquelle les besoins et contributions des femmes sont secondaires et où les violences basées sur le genre et le harcèlement sont normalisés. Le thème retenu par Women Deliver nous incite tous et toutes à corriger ces déséquilibres de pouvoir et à mettre davantage de pouvoir entre les mains des femmes et des filles. Pour y parvenir, nous devons totalement transformer notre conception du pouvoir et ne plus soutenir les structures patriarcales, au profit de structures reposant sur la solidarité, le respect pour notre humanité partagée et notre engagement en faveur de l’intérêt public. Favoriser un monde dans lequel les droits humains, et les droits des femmes renforcent l’harmonie et la prospérité.